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posé à lui venir en aide… Contre qui ? il ne savait : contre une puissance inconnue et redoutable. H lui arrivait d’aller réveiller Grigory dans la nuit, et de le prier de venir passer avec lui quelques instants, durant lesquels il lui parlait de choses insignifiantes ; mais il avait besoin de le sentir là. Puis il le laissait partir, et s’endormait du sommeil du juste.

Grigory était un mystique ; un événement extraordinaire avait laissé dans son âme, selon ses propres expressions, une empreinte indélébile. Une nuit, Martha Ignatievna avait été réveillée par des plaintes d’enfant nouveau-né. Très-effrayée, elle appelle son mari. Grigory écoute : « Ce sont plutôt des gémissements de femme », dit-il. Il se lève, s’habille. C’était par une chaude nuit de mai. Il descend sur le perron, et remarque que les gémissements viennent du jardin. Le jardin était fermé du côté de la cour et défendu par une forte barrière. Grigory rentre dans la maison, allume une lanterne, prit la clef de la barrière et, sans s’occuper de la terreur de Martha, descend dans le jardin. Là, il constate que les gémissements viennent de la salle des bains, située dans le jardin à peu de distance de la porte, et que ce sont en effet des gémissements de femme. En ouvrant la porte de la salle des bains, il reste cloué de stupeur devant le spectacle qui s’offre à lui : par terre était étendue Lizaveta Smerdiactchaïa, une idiote connue de toute la ville ; un nouveau-né gisait auprès d’elle ; elle agonisait. Aucun mot articulé ne sortait de ses lèvres : elle était idiote et muette.