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l’âme toute pure, les écoliers disent volontiers des choses qui répugneraient à de vieux troupiers. Je crois même que les enfants de notre « classe dirigeante » connaissent en ce genre certains détails inconnus, dis-je, des vieux troupiers eux-mêmes. Est-ce débauche morale, cynisme réel, inhérent à la nature de l’esprit ? Non, tout au plus fanfaronnade superficielle, où les petits bonshommes trouvent je ne sais quoi de délicat, de fin : une tradition estimable. Voyant qu’Alioscha Karamazov, quand on parlait de « cela », se bouchait vivement les oreilles, on l’entoura d’abord et on lui écarta de force les mains des oreilles pour qu’il ne perdît aucune de ces ordures. Il s’efforça de se dégager et finit par se coucher par terre, mais sans proférer une parole, sans un reproche. On finit par le laisser tranquille, on cessa même de l’appeler « fillette » ; on le prit pour ainsi dire en pitié. Disons en passant qu’il était toujours un des meilleurs élèves, mais jamais le premier.

Après la mort d’Efim Pétrovitch, Alioscha resta au collège deux ans encore. La femme de Polienov, presque aussitôt après la mort de son mari, se retira en Italie avec toute sa famille, et Alioscha fut recueilli, sans qu’on lui dît à quel titre, par deux parents éloignés d’Efim Pétrovitch. C’était un des traits distinctifs de son caractère qu’il ne se souciât jamais de savoir « de quel argent il vivait », très-différent en cela de son frère Ivan Fédorovitch qui, durant ses deux premières années d’université, travailla pour vivre et dès l’enfance avait souffert à la pensée qu’il était entretenu par des étrangers. Mais cette particularité d’Alexey n’aurait pu lui aliéner l’estime de quiconque