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depuis son mariage, était ivre quand il rencontra la générale. On raconte que, sans autre explication, elle lui administra deux grands soufflets, le secoua trois fois par les cheveux, puis, toujours sans parler, alla directement dans l’izba de Grigory. Quand elle vit les enfants sales, tristes, malades, elle souffleta Grigory à son tour, entoura les enfants de son plaid, les mit dans sa voiture et partit avec eux. Grigory la salua, la remercia d’avoir pensé aux orphelins, mais elle lui jeta un dédaigneux « Vaurien ! » et partit. Fédor Pavlovitch s’applaudit de cet événement. Quant aux soufflets, il fut le premier à en parler à toutes ses connaissances.

La générale mourut peu de temps après. Elle avait inscrit dans son testament chacun des enfants pour mille roubles : « Somme qui devra être intégralement consacrée à leur éducation sous cette seule condition que ce capital leur suffise jusqu’à leur majorité, car c’est bien assez pour de tels enfants ; si quelqu’un trouve que ce n’est pas assez, il n’a qu’à m’imiter, etc., etc… »

Heureusement, le principal héritier de la générale se trouvait être un honnête homme, le chef de la noblesse de son gouvernement, Efim Pétrovitch Poliénov. Voyant qu’on ne pouvait rien espérer de Fédor Pavlovitch, il se chargea personnellement des orphelins, et, comme il aima surtout le cadet, Alexey, il le garda longtemps dans sa famille, fait dont je prie le lecteur de prendre dès maintenant bonne note. C’est à cet Efim Pétrovitch, le plus noble des hommes, que les deux jeunes gens durent leur éducation et peut-être leur vie. Il conserva intact jusqu’à leur majorité le legs de la générale ; les intérêts doublèrent le capital.