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précisément pourquoi je joue le rôle d’un bouffon, c’est parce que je sais que tous, jusqu’au dernier, vous êtes plus bêtes et plus vils que moi !…

Il voulut se venger sur les autres de ses propres infamies. À ce propos, il se rappela qu’un jour, comme on lui demandait pourquoi il haïssait un tel, il avait répondu avec son impudence ordinaire : « Voici pourquoi : il ne m’a rien fait, mais moi, je lui ai fait la plus ignoble crasse, voilà pourquoi je le hais. » Il sourit méchamment à ce souvenir. « Puisque j’ai commencé, continuons ! » dit-il avec une soudaine résolution.

Il ordonna au cocher d’attendre, regagna le monastère à grands pas et se rendit tout droit chez le supérieur. Il ne savait pas lui-même ce qu’il allait faire, mais il savait seulement qu’il n’était déjà plus maître de lui.

Tous les invités allaient s’asseoir quand il entra. S’arrêtant sur le seuil, il regarda la compagnie et éclata de rire, de son rire effronté, prolongé, méchant, tout en regardant droit dans les yeux de tous ceux qui étaient là.

— On me croyait parti ? me voilà !!!

Il y eut un mouvement de stupéfaction et de silence. On pressentait qu’une scène répugnante allait avoir lieu. Petre Alexandrovitch redevint plus sombre que jamais ; toutes ses rancunes endormies se réveillèrent brusquement.

— Non, je ne supporterai pas cela ! Je ne le puis absolument et… absolument !

Le sang lui montait au visage, il ne trouvait plus ses mots. Il saisit son chapeau.

— Quoi ! vous ne pouvez pas ? s’écria Fédor Pavlovitch. « Il ne peut pas absolument et… absolument ! » Votre Révé-