Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/56

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Et pourquoi trembles-tu ? Tout en admettant qu’il soit honnête, — bête, mais honnête, — tu conviens au moins que ton frère est sensuel. C’est sa caractéristique. C’est d’ailleurs l’héritage paternel. Ce qui m’étonne, c’est que toi, Alioscha, tu puisses être encore vierge. — Tu es pourtant un Karamazov ! Dans ta famille, la sensualité est à l’état aigu… Eh bien, les trois autres, tous trois sensuels, ont tous trois un couteau caché dans la botte, ils vont tous trois se donner de la corne, et peut-être les imiteras-tu, toi quatrième.

— Quant à cette femme, tu te trompes ; Dmitri… la méprise, fit Alioscha en tressaillant.

— C’est de Grouschegnka que tu parles ? Non, frère, c’est toi qui te trompes, il ne la méprise pas, puisqu’il a quitté pour elle sa fiancée ! Il y a là… Il y a là, frère, quelque chose que tu ne peux encore comprendre. Un homme peut devenir amoureux d’une beauté quelconque, de la beauté corporelle, ou même d’une partie seulement du corps féminin (il n’y a que les sensuels qui peuvent comprendre cela). Il donnera pour elle alors ses propres enfants, il vendra pour elle père, mère, patrie. Honnête, il volera. Doux, il égorgera. Fidèle, il trahira. Pouschkine a célébré les petits pieds des femmes ; mais il y a des gens qui ne sont pas poëtes et qui pourtant ne peuvent regarder ces petits pieds-là sans tressaillir, et… pas les petits pieds seulement… Le mépris, en ce cas, ne sert de rien. Dmitri peut mépriser Grouschegnka…

— Je comprends, dit naïvement Alioscha.

— Ah ! vraiment ? Oui, tu comprends, insinua ironiquement Rakitine. Tu l’as dit malgré toi, c’est un aveu d’au-