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comprit aussitôt que c’était lui, ce Smerdiakov, qui était assis dans son âme.

« Ce misérable vaut-il donc la peine que je m’inquiète tant de lui > ? pensa-t il avec rage.

En effet , depuis quelque temps , il avait pris en grippe Smerdiakov. Peut-être cette sorte de haine n’était-elle devenue si aiguë que parce qu’elle succédait à une sorte de sympathie. Il l’avait d’abord trouvé très-originai ^.i, 2 causait volontiers avec lui , étonné de cet esprit inquiet, sans comprendre le motif de cette inquiétude. La question de Smerdiakov : comment la lumière n’a été créée que le quatrième jour, puisque les étoiles datent du premier, égayait Ivan. Mais il s’était bientôt convaincu que Smerdia- kov ne pensait pas uniquement aux étoiles et qu’il lui fallait autre chose. On devinait en lui un amour- propre blessé. C’est ce qui commença à éloigner Ivan. Puis survinrent les événements que nous avons décrits. Smerdiakov en parlait parfois avec animation , mais sans jamais dire ce qu’il désirait pour lui-même. Il questionnait, il faisait des allusions, mais ne s’expliquait jamais et s’interrompait toujours au moment le plus animé. Ce qui exaspérait Ivan, c’était la familiarité croissante que Smerdiakov lui témoignait. Non pas qu’il fût impoli . au contraire ; mais il s’était établi une façon de solidarité entre Ivan et Smerdiakov, comme s’ils avaient conclu un pacte ignoré des autres mortels. Toutefois, Ivan avait été longtemps sans comprendre la vraie cause de son dégoût; il ne l’avait devinée que dans les tout derniers temps.

Il voulut d’abord passer sans rien dire à Smerdiakov ; mais celui-ci s’était déjà levé et lui faisait comprendre