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sauterelles et de racines ; moi aussi j’ai béni la liberté que tu donnas aux hommes et j’ai rêvé d’être compté parmi les Forts. Mais j’ai tôt abdiqué ce rêve, j’ai renoncé à ta folie pour m’ aller joindre aux groupes de ceux qui corrigèrent ton œuvre. J’ai laissé les fiers pour aller faire le bonheur des humbles.

Ce que je te dis se réalisera : notre empire s’élèvera.

Je te répète que demain, sur un signe de moi, tu verras un troupeau soumis apporter des charbons ardents au bûcher oij je te ferai mourir, parce que tu es venu nous déranger. Qui, en effet, mérita plus que toi le bûcher? Demain, je te brûlerai. Dixi.

Ivan s’arrêta. Il s’était exalté en parlant; tout à coup, il éclata de rire.

Alioscha avait écouté sérieusement, avec une émotion extrême. Plusieurs fois il avait voulu interrompre son frère et s’était retenu.

— Mais... c’est un non-sens ! Ton poëme est la louange et non pas la condamnation de Jésus ! Qui croira ce que tu dis à propos de la liberté? Est-ce ainsi qu’il faut la comprendre? Est-ce la doctrine de l’Église orthodoxe? Rome peut-être, et encore! les pires des catholiques, les inquisiteurs, les Jésuites!... D’ailleurs, quel personnage fantastique, ton inquisiteur! Quels sont ces péchés assumés pour les autres hommes? Quels sont ces dépositaires de ’mystères qui prennent pour eux l’anathème et laissent le bonheur à l’humanité? Quand a-t-on vu cela? Nous connaissons les Jésuites; on en dit du mal, mais sont-ils ce que tu dis? Nullement!... C’est l’armée avec laquelle Rome pense asservir le monde au commandement