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les souffrances de la géhenne cessent, chaque année, du vendredi saint à la Pentecôte, et les pécheurs, du fond de l’enfer, remercient Dieu et crient : « Tu as raison, Seigneur, et ta sentence est juste. » Eh bien, mon petit poëme serait du même genre. Jésus apparaît ; il ne dit rien et ne fait que passer. Il y a déjà quinze siècles accomplis depuis qu’il a dit, par la voix de son prophète : « Je reviendrai bientôt. Quant au jour et à l’heure, personne, et pas même le Fils, ne les connaissent. » Telles furent ses paroles avant de disparaître, et l’humanité l’attend toujours avec la même foi, ou plutôt avec une foi plus ardente encore qu’il y a quinze siècles. Mais le diable ne sommeille pas ; le doute commence à corrompre l’humanité, à se glisser dans la tradition des miracles. À ce moment, au nord de la Germanie, naissait une hérésie terrible, qui précisément niait les miracles. Les fidèles n’en crurent qu’avec plus de foi. Et l’on attend le Christ, on L’espère, on veut souffrir et mourir comme Lui jadis… Et voilà que l’humanité a tant prié depuis tant de siècles, a tant crié : « Seigneur, daignez nous apparaître ! » qu’Il a voulu, dans Sa miséricorde inépuisable, descendre vers ses fidèles.

Et voilà qu’il a voulu Se montrer, pour un instant au moins, au peuple, à la multitude malheureuse, plongée dans l’abîme du péché, mais qui L’aime d’un amour puéril. Le lieu de l’action est Séville ; l’époque, l’Inquisition, ce temps où chaque jour voyait, à la plus grande gloire de Dieu :


Des auto-da-fé superbes
D’horribles hérétiques.


Oh ! certes, ce n’est point la venue promise pour la fin