Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/233

Cette page n’a pas encore été corrigée

priétés de deux mille âmes, plein de morgue , traitant de très-haut ses voisins moins fortunés que lui. Il avait des centaines de chiens dans un chenil et cent garde-chiens. Un jeune dvorovy[1], âgé de huit ans. avait blessé d’un coup de pierre à la jambe un des chiens favoris du général. Le général fit arrêter le coupable chez sa mère. Le gamin passa la nuit au poste. Le lendemain matin, de bonne heure, le général, en grand uniforme, monte à cheval pour aller à la chasse, entouré de ses piqueurs montés comme lui. On rassemble toute la dvornia[2] pour faire un exemple, et la mère du coupable comparaît devant tout ce monde. On amène le gamin. La matinée était froide et brumeuse. Le général ordonne d’ôter à l’enfant ses habits, jusqu’au dernier. L’enfant grelotte , muet et fou de terreur. € Faites-le courir! » commande le général. « Cours! cours! > lui crient les piqueurs. Le gamin commence à courir. « Velaut! » crie le général, et il lance sur lui toute la meute. Les chiens déchirèrent le gamin en lambeaux sous les yeux de sa mère... On a imposé au général un conseil judiciaire. Fallait-il le fusiller ? Parle, Alioscha.

— Fusiller, dit tout doucement Alioscha, pâle, avec un sourire convulsif.

— Bravo ! Si tu le dis, toi, c’est que... Ah! voyez- vous l’ascète! Voilà donc le diable que tu as dans le cœur, Ahoscha Karamazov !

— J’ai dit une bêtise , mais...

— Oui, oui, mais.,. Sache, novice, que les bêtises sont essentielles au monde, que c’est sur elles que le monde

  1. Serf pris au service particulier du seigneur.
  2. Domesticité.