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souffrance spirituelle, par exemple, il est bien rare qu’on me l’accorde I Mon prochain ne voudra pas convenir que mon visage soit celui que doit, selon lui, avoir un homme qui souffre pour une idée ; il cesse d’avoir pitié de moi , cela sans méchanceté. Le mendiant, surtout le mendiant en habit noir , ne devrait jamais se laisser voir ; il ne de- vrait mendier que par la voie de la presse. En esprit, en- core, on peut aimer le prochain, de loin : de près, jamais. Si du moins tout se passait comme sur la scène, comme dans les ballets, où les pauvres ont des loques en soie, des dentelles déchirées, et mendient en dansant gracieusement, on pourrait les supporter, — les regarder, non pas les aimer. Mais assez là-dessus. Je voulais seulement te placer à mon point de vue. Je voulais te parler des souffrances de l’humanité en général. Mieux vaut nous restreindre aux souffrances des enfants seulement. D’abord, on peut aimer les enfants de près, même sales, même laids (il me semble, pourtant, que les enfants ne sont jamais laids), tandis que les êtres un peu mûrs deviennent aussitôt repoussants. Ils ont mangé le fruit du mal et du bien, et sont devenus t semblables à des dieux ». Ils continuent à le manger! Les petits enfants, au contraire, sont innocents. Aimes-tu les enfants, Alioscha? Je sais que tu les aimes, et tu comprends pourquoi je ne veux parler que d’eux. Ils souffrent beaucoup, eux aussi, certes ; c’est pour leurs pères qu’ils sont punis, leurs pères qui ont mangé le fruit ! Mais quel raisonnement d’un autre monde , incompréhensible à l’homme sur la terre ! Pourquoi l’innocent souffre-t-il ? Remarque bien que les hommes cruels, sensuels, voraces, les Karamazov, aiment pourtant les