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ans, j’en suis sur, ma jeunesse triomphera de tout, de toute désillusion, de tout dégoût de vivre. Je me suis plus d’une fois demandé s’il y a au monde une douleur capable de vaincre en moi cette soif infinie, cette soif de vivre, indécente peut-être, et je pense qu’il n’y a pas, pour moi, une telle douleur, du moins que je ne la connaîtrai pas avant trente ans. Cette soif de la vie , les moralistes, sur- tout en vers, des gens tuberculeux et afdigés d’un éternel coryza, la déclarent vile. Il est vrai que cette soif est la caractéristique des Karamazov : vivre , coûte que coûte I Elle est en toi aussi. Mais qu’a-t-elle de vil? H y a encore beaucoup de force centripète dans notre globe, Alioscha. Vivre! on veut vivre! Je veux vivre en dépit de toute logique ! Qu’importe que je croie ou non à l’ordre de chose> établi? J’aime les fleurs du printemps naissant, j’aime le ciel bleu, j’aime certaines gens, je ne sais pas toujours pourquoi. — J’aime certains actes héroïques, dont peut-être j’ai perdu l’enthousiasme, mais je les aime par habitude... Voilà la oukha, mange. On la fait bien ici... Je vais en Europe. Oh ! je sais bien que je vais visiter un cime- ■ tière; mais c’est le plus précieux des cimetières! H ren- ferme les restes de précieux morts! Chaque pierre raconte l’histoire d’une vie ardente, atteste la foi profonde d’un héros en son bon droit, en ses luttes, en sa science. Oh ! je je veux les baiser, ces pierres, et pleurer sur elles 1 Convaincu, d’ailleurs, à l’avance, que tout cela n’est (lu’uii cimetière, rien de plus. Et je ne pleurerai pas de désespoir, mais de bonheur! J’aime les fleurs du printemps et le ciel bleu! Il n’y a pas de logique ici; c’est le cœur qui aime, et c’est le ventre. C’est sa propre jeunesse qu’on