Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/82

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Veux-tu boire ?

— J’ai pris des liqueurs… N’avez-vous pas des bonbons au chocolat ?

— Il y en a un monceau sur la table, choisis, mon ange !

— Non, j’en voudrais à la vanille… pour les vieillards… hi ! hi !

— Non, frère, il n’y en a pas comme ça.

— Écoutez, fit le vieux en se penchant à l’oreille de Mitia, cette fille-là, Marie, hi ! hi ! je voudrais bien faire sa connaissance, grâce à votre bonté…

— Voyez-vous ça ! Tu veux rire, camarade.

— Je ne fais de mal à personne, murmura piteusement Maximov.

— Ça va bien. Ici, camarade, on se contente de chanter et de danser. Après tout, si le cœur t’en dit ! En attendant, régale-toi, bois, amuse-toi. As-tu besoin d’argent ?

— Après, peut-être, avoua Maximov en souriant.

— Bien, bien. »

Mitia avait la tête en feu. Il sortit sur la galerie qui entourait une partie du bâtiment. L’air frais lui fit du bien. Seul dans l’obscurité, il se prit la tête à deux mains. Ses idées éparses se groupèrent soudain, et tout s’éclaira d’une terrible lumière… « Si je dois me tuer, c’est maintenant ou jamais », songea-t-il.

Prendre un pistolet et en finir dans ce coin sombre ! Il demeura près d’une minute indécis. En venant à Mokroïé, il avait sur la conscience la honte, le vol commis, le sang versé ; néanmoins, il se sentait plus à l’aise : tout était fini, Grouchegnka, cédée à un autre, n’existait plus pour lui. Sa décision avait été facile à prendre, elle paraissait du moins inévitable, car pourquoi eût-il vécu désormais ? Mais la situation n’était plus la même. Ce fantôme terrible, cet homme fatal, l’amant d’autrefois, avait disparu sans laisser de traces. L’apparition redoutable devenait un fantoche grotesque qu’on enfermait à clef. Grouchegnka avait honte et il devinait à ses yeux qui elle aimait. Il suffisait maintenant de vivre, et c’était impossible, ô malédiction ! « Seigneur, priait-il mentalement, ressuscite celui qui gît près de la palissade ! Éloigne de moi cet amer calice ! Car tu as fait des miracles pour des pécheurs comme moi !… Et si le vieillard vit encore ? Oh alors, je laverai la honte qui pèse sur moi, je restituerai l’argent dérobé, je le prendrai sous terre… L’infamie n’aura laissé de traces que dans mon cœur pour toujours. Mais non, ce sont des rêves impossibles ! Ô malédiction ! »