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avait un gentil visage, de beaux cheveux blonds, de charmants yeux bleus à l’expression pensive et parfois au-dessus de son âge, bien qu’il eût par moments des allures enfantines, ce qui ne le gênait nullement. En général, il était fort original et même capricieux, mais toujours câlin. Parfois, son visage prenait une expression concentrée ; il vous regardait et vous écoutait tout en paraissant absorbé dans un rêve intérieur. Tantôt il faisait preuve de mollesse, d’indolence, tantôt il s’agitait pour la cause la plus futile.

« Figurez-vous que je le traîne après moi depuis quatre jours, poursuivit Kalganov en pesant un peu sur les mots, mais sans aucune fatuité. Depuis que votre frère l’a repoussé de la voiture, vous vous souvenez. Je me suis alors intéressé à lui et l’ai emmené à la campagne, mais il ne dit que des sottises à vous faire honte. Je le ramène…

— « Pan polskiej pani nie widzial[1] », et dit des choses qui ne sont pas, déclara le pan à la pipe.

— Mais j’ai été marié à une Polonaise, répliqua en riant Maximov.

— Oui, mais avez-vous servi dans la cavalerie ? C’est d’elle que vous parliez. Êtes-vous cavalier ? intervint Kalganov.

— Ah ! oui, est-il cavalier ? Ha ! ha ! cria Mitia qui était tout oreilles et fixait chaque interlocuteur comme s’il en attendait des merveilles.

— Non, voyez-vous, dit Maximov en se tournant vers lui, je veux parler de ces panienki, qui, dès qu’elles ont dansé une mazurka avec un de nos uhlans, sautent sur ses genoux comme des chattes blanches sous les yeux et avec le consentement de père et mère… Le lendemain, le uhlan va faire sa demande en mariage… et le tour est joué… hi ! hi !

— Pan lajdak[2] », grommela le pan à la haute taille en croisant les jambes.

Mitia ne remarqua que son énorme botte cirée à la semelle épaisse et sale. D’ailleurs, les deux Polonais avaient une tenue plutôt malpropre.

« Bon, un misérable ! Pourquoi des injures ? dit Grouchegnka irritée.

— Pani Agrippina, le pan n’a connu en Pologne que des filles de basse condition, et non des jeunes filles nobles.

— Mozesz a to rachowac[3], fit dédaigneusement le pan aux longues jambes.

  1. Monsieur n’a pas vu de Polonaises.
  2. Ce monsieur est un misérable.
  3. Tu peux en être sûr.