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Celui-ci, mis au courant, y consentit, mais dut monter chez la propriétaire qui l’avait fait appeler. Il chargea de le remplacer son neveu, un gars de vingt ans, récemment arrivé de la campagne, mais oublia de mentionner le capitaine. Le gars, qui gardait bon souvenir des pourboires de Mitia, le reconnut et lui ouvrit aussitôt. En souriant, il se hâta de l’informer obligeamment qu’«  Agraféna Alexandrovna n’était pas chez elle ». Mitia s’arrêta.

« Où est-elle donc, Prochor ?

— Y a tantôt deux heures qu’elle est partie pour Mokroïé avec Timothée.

— Pour Mokroïé ! s’écria Mitia, Mais qu’y va-t-elle faire ?

— J’pourrais pas vous dire au juste, j’crois qu’c’est pour rejoindre un officier qui l’a envoyé chercher en voiture. »

Mitia se précipita comme un fou dans la maison.


V

Une décision subite

Fénia se tenait dans la cuisine avec sa grand-mère, les deux femmes s’apprêtaient à se coucher, et se fiant au portier, elles n’avaient pas fermé la porte. Sitôt entré, Mitia saisit Fénia à la gorge.

« Dis-moi tout de suite… avec qui elle est à Mokroïé », hurla-t-il.

Les deux femmes poussèrent un cri.

« Aïe, je vais vous le dire, aïe, cher Dmitri Fiodorovitch, je vous dirai tout, je ne cacherai rien ! bredouilla Fénia épouvantée. Elle est allée voir un officier.

— Quel officier ?

— Celui qui l’a abandonnée, il y a cinq ans. »

Dmitri lâcha Fénia. Il était mortellement pâle et sans voix, mais on voyait à son regard qu’il avait tout compris à demi-mot, deviné jusqu’au moindre détail. La pauvre Fénia évidemment ne pouvait s’en rendre compte. Elle demeurait assise sur le coffre, toute tremblante, les bras tendus comme pour se défendre, sans un mouvement. Les prunelles dilatées par l’effroi, elle fixait Mitia qui avait les mains ensanglantées.

En route, il avait dû les porter à son visage pour essuyer la sueur, car le front était taché ainsi que la joue droite. Fénia risquait d’avoir une crise de nerfs ; la vieille cuisinière,