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petits oiseaux, accourez, gentils moineaux ! » murmurait-il avec sollicitude. Un des enfants lui fit remarquer que ses fleurs le gênaient et qu’il devait les confier à quelqu’un. Mais il refusa, parut même craindre qu’on les lui ôtât, et après s’être assuré d’un regard que tout était accompli et le pain émietté, il s’en alla chez lui d’un pas d’abord tranquille, puis de plus en plus rapide. Les enfants et Aliocha le suivaient de près.

« Des fleurs pour maman, des fleurs pour maman ! On a offensé maman ! » s’exclama-t-il soudain.

Quelqu’un lui cria de mettre son chapeau, qu’il faisait froid. Comme irrité par ces paroles, il le jeta sur la neige en disant :

« Je ne veux pas de chapeau, je n’en veux pas ! »

Le jeune Smourov le releva et s’en chargea. Tous les enfants pleuraient, surtout Kolia et le garçon qui avait découvert Troie. Malgré ses larmes, Smourov trouva moyen de ramasser un fragment de brique qui rougissait sur la neige, pour viser au vol une bande de moineaux. Il les manqua naturellement et continua de courir, tout en pleurant. À mi-chemin, Sniéguiriov s’arrêta soudain, comme frappé de quelque chose, puis, se retournant du côté de l’église, prit sa course vers la tombe délaissée. Mais les enfants le rattrapèrent en un clin d’œil, se cramponnant à lui de tous côtés. À bout de forces, comme terrassé, il roula sur la neige, se débattit en sanglotant, se mit à crier : « Ilioucha, mon cher petit ! » Aliocha et Kolia le relevèrent, le supplièrent de se montrer raisonnable.

« Capitaine, en voilà assez ; un homme courageux doit tout supporter, balbutia Kolia.

— Vous abîmez les fleurs, dit Aliocha ; la « maman » les attend, elle pleure parce que vous lui avez refusé les fleurs d’Ilioucha. Le lit d’Ilioucha est encore là.

— Oui, oui, allons voir maman, dit soudain Sniéguiriov ; on va emporter le lit ! » ajouta-t-il comme s’il craignait vraiment qu’on l’emportât.

Il se releva et courut à la maison, mais on n’en était pas loin et tout le monde arriva en même temps. Sniéguiriov ouvrit vivement la porte, cria à sa femme, envers laquelle il s’était montré si dur :

« Chère maman, voici des fleurs qu’Ilioucha t’envoie ; tu as mal aux pieds ! »

Il lui tendit ses fleurs, gelées et abîmées quand il s’était roulé dans la neige. À ce moment, il aperçut dans un coin, devant le lit, les souliers d’Ilioucha que la logeuse venait de