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sonore que tout lui parviendra chaque fois, comme si on chantait sur sa tombe. »

Le capitaine eut un geste de lassitude, comme pour dire : « Faites ce que vous voudrez ! » Les enfants soulevèrent le cercueil, mais en passant près de la mère, ils s’arrêtèrent un instant pour qu’elle pût dire adieu à Ilioucha. En voyant soudain de près ce cher visage, qu’elle n’avait contemplé durant trois jours qu’à une certaine distance, elle se mit à dodeliner de sa tête grise.

« Maman, bénis-le, embrasse-le », lui cria Nina.

Mais celle-ci continuait à remuer la tête, comme une automate, et, sans rien dire, le visage crispé de douleur, elle se frappa la poitrine du poing. On porta le cercueil plus loin. Nina déposa un dernier baiser sur les lèvres de son frère.

Aliocha, en sortant, pria la logeuse de veiller sur les deux femmes ; elle ne le laissa pas achever.

« Nous connaissons notre devoir ; je resterai près d’elles, nous aussi sommes chrétiens. »

La vieille pleurait en parlant.

L’église était à peu de distance, trois cents pas au plus. Il faisait un temps clair et doux, avec un peu de gelée. Les cloches sonnaient encore. Sniéguiriov, affairé et désorienté, suivait le cercueil dans son vieux pardessus trop mince pour la saison, tenant à la main son feutre aux larges bords. En proie à une inexplicable inquiétude, tantôt il voulait soutenir la tête du cercueil, ce qui ne faisait que gêner les porteurs, tantôt il s’efforçait de marcher à côté. Une fleur était tombée sur la neige, il se précipita pour la ramasser, comme si cela avait une énorme importance.

« Le pain, on a oublié le pain ! » s’écria-t-il tout à coup avec effroi.

Mais les enfants lui rappelèrent aussitôt qu’il venait de prendre un morceau de pain et l’avait mis dans sa poche. Il le sortit et se calma en le voyant.

« C’est Ilioucha qui le veut, expliqua-t-il à Aliocha ; une nuit que j’étais à son chevet, il me dit tout à coup : « Père, quand on m’enterrera, émiette du pain sur ma tombe, pour attirer les moineaux ; je les entendrai et cela me fera plaisir de ne pas être seul. »

— C’est très bien, dit Aliocha ; il faudra en porter souvent.

— Tous les jours, tous les jours ! » murmura le capitaine comme ranimé.

On arriva enfin à l’église et le cercueil fut placé au milieu. Les enfants l’entourèrent et eurent, durant la cérémonie, une attitude exemplaire. L’église était ancienne et plutôt pauvre,