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dans un coin perdu, et toujours je me ferai passer pour américain. En revanche, nous mourrons sur la terre natale. Voilà mon plan, il est irrévocable. L’approuves-tu ?

— Oui » dit Aliocha pour ne pas le contredire.

Mitia se tut un instant et proféra tout à coup :

« Comme on m’a arrangé à l’audience ! Quel parti pris !

— Même sans cela, tu aurais été condamné, dit Aliocha en soupirant.

— Oui, on en a assez de moi, ici ! Que Dieu leur pardonne, mais c’est dur ! » gémit Mitia.

Un nouveau silence suivit.

« Aliocha, exécute-moi tout de suite ! Viendra-t-elle ou non maintenant, parle ! Qu’a-t-elle dit ?

— Elle a promis de venir, mais je ne sais pas si ce sera aujourd’hui. Cela lui est pénible ! »

Aliocha regarda timidement son frère.

« Je pense bien ! Je pense bien ! Aliocha, j’en deviendrai fou. Grouchegnka ne cesse de me regarder. Elle comprend. Dieu, apaise-moi, qu’est-ce que je demande ? Voilà bien l’impétuosité des Karamazov ! Non, je ne suis pas capable de souffrir ! Je ne suis qu’un misérable !

— La voilà ! » s’écria Aliocha.

À ce moment, Katia parut sur le seuil. Elle s’arrêta un instant et regarda Mitia d’un air égaré. Celui-ci se leva vivement, pâle d’effroi, mais aussitôt un sourire timide, suppliant, se dessina sur ses lèvres, et tout à coup, d’un mouvement irrésistible, il tendit les bras à Katia, qui s’élança. Elle lui saisit les mains, le fit asseoir sur le lit, s’assit elle-même, sans lâcher ses mains qu’elle serrait convulsivement. À plusieurs reprises, tous deux voulurent parler, mais se retinrent, se regardant en silence, avec un sourire étrange, comme rivés l’un à l’autre ; deux minutes se passèrent ainsi.

« As-tu pardonné ? » murmura enfin Mitia, et aussitôt, se tournant radieux vers Aliocha, il lui cria : « Tu entends ce que je demande, tu entends !

— Je t’aime parce que ton cœur est généreux, dit Katia. Tu n’as pas besoin de mon pardon, pas plus que je n’ai besoin du tien. Que tu me pardonnes ou non, le souvenir de chacun de nous restera comme une plaie dans l’âme de l’autre ; cela doit être… »

La respiration lui manqua…

« Pourquoi suis-je venue ? poursuivit-elle fébrilement : pour embrasser tes pieds, te serrer les mains jusqu’à la douleur,