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mille roubles, la somme à laquelle le procureur, ayant appris qu’il l’avait envoyée changer, a fait allusion dans son discours. Je fus stupéfaite de voir que, malgré sa jalousie, et persuadé que j’aimais Dmitri, Ivan Fiodorovitch n’avait pas renoncé à sauver son frère et qu’il se fiait à moi pour cela ! Oh ! c’était un sacrifice sublime ! Vous ne pouvez comprendre la grandeur d’une telle abnégation, Alexéi Fiodorovitch ! J’allais me jeter à ses pieds, mais lorsque je songeai tout à coup qu’il attribuerait ce geste uniquement à ma joie de savoir Mitia sauvé (et il l’aurait certes cru ! ), la possibilité d’une telle injustice de sa part m’irrita si fort qu’au lieu de lui baiser les pieds je lui fis une nouvelle scène ! Que je suis malheureuse ! Quel affreux caractère que le mien ! Vous verrez : Je ferai si bien qu’il me quittera pour une autre plus facile à vivre, comme Dmitri ; mais alors… non, je ne le supporterai pas, je me tuerai ! Au moment où vous êtes arrivé, ce soir-là, et où j’ai ordonné à Ivan de remonter, le regard haineux et méprisant qu’il me lança en entrant me mit dans une affreuse colère ; alors, vous vous le rappelez sans doute, je vous criai tout à coup que c’était lui, lui seul, qui m’avait assuré que Dmitri était l’assassin ! Je le calomniais pour le blesser une fois de plus ; il ne m’a jamais assuré pareille chose, au contraire, c’est moi qui le lui affirmais ! C’est ma violence qui est cause de tout. Cette abominable scène devant le tribunal, c’est moi qui l’ai provoquée ! Il voulait me prouver la noblesse de ses sentiments, me démontrer que, malgré mon amour pour son frère, il ne le perdrait pas par vengeance, par jalousie. Alors il a fait la déposition que vous connaissez… Je suis cause de tout cela, c’est ma faute à moi seule ! »

Jamais encore Katia n’avait fait de tels aveux à Aliocha ; il comprit qu’elle était parvenue à ce degré de souffrance intolérable où le cœur le plus orgueilleux abdique toute fierté et s’avoue vaincu par la douleur. Aliocha connaissait une autre cause au chagrin de la jeune fille, bien qu’elle la lui dissimulât depuis la condamnation de Mitia : elle souffrait de sa « trahison » à l’audience, et il pressentait que sa conscience la poussait à s’accuser précisément devant lui, Aliocha, dans une crise de larmes, en se frappant le front contre terre. Il redoutait cet instant et voulait lui en épargner la souffrance. Mais sa commission n’en devenait que plus difficile à faire. Il se remit à parler de Mitia.

« Ne craignez rien pour lui, reprit obstinément Katia ; sa décision est passagère, soyez sûr qu’il consentira à s’évader.