Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/36

Cette page n’a pas encore été corrigée

— Mais les trois mille roubles que vous m’avez si généreusement promis.

— Trois mille quoi… trois mille roubles ? Mais je ne les ai pas, dit-elle avec quelque surprise.

— Comment ?… Vous avez dit que c’était comme si je les avais dans ma poche…

— Oh ! non, vous m’avez mal comprise, Dmitri Fiodorovitch. Je parlais des mines. Je vous ai promis bien plus de trois mille roubles, je me souviens maintenant, mais c’étaient uniquement les mines que j’avais en vue.

— Mais l’argent ? les trois mille roubles ?

— Oh ! si vous comptiez sur de l’argent, je n’en ai pas du tout en ce moment, Dmitri Fiodorovitch. J’ai même des difficultés avec mon régisseur et je viens d’emprunter cinq cent roubles à Mioussov. Si j’en avais, d’ailleurs, je ne vous en donnerais pas. D’abord, je ne prête à personne. Qui débiteur a, guerre a. Mais à vous particulièrement, j’aurais refusé, parce que je vous aime et qu’il s’agit de vous sauver. Car il ne vous faut qu’une seule chose : les mines et les mines !

— Oh ! que le diable… hurla Mitia en donnant un violent coup de poing sur la table.

— Aïe, aïe ! » s’écria Mme Khokhlakov, effrayée, en se réfugiant à l’autre bout du salon.

Mitia cracha de dépit et sortit précipitamment. Il allait comme un fou dans les ténèbres, en se frappant la poitrine à la même place que deux jours plus tôt devant Aliocha, lors de leur dernière rencontre sur la route. Pourquoi se frappait-il juste à la même place ? Que signifiait ce geste ? Il n’avait encore révélé à personne ce secret, pas même à Aliocha, un secret qui recelait le déshonneur, et même sa perte et le suicide, car telle était sa résolution au cas où il ne trouverait pas trois mille roubles pour s’acquitter envers Catherine Ivanovna et ôter de sa poitrine, de « cette place », le déshonneur qu’il portait et qui torturait sa conscience. Tout cela s’éclaircira par la suite. Après la ruine de son dernier espoir, cet homme si robuste fondit soudain en larmes comme un enfant. Il marchait, hébété, en essuyant ses larmes de son poing, quand soudain il heurta quelqu’un. Une vieille femme qu’il avait failli renverser poussa un cri aigu.

« Seigneur, il m’a presque tuée ! Fais donc attention, espèce de vaurien !

— Ah ! c’est vous ? cria Mitia en examinant la vieille dans l’obscurité. C’était la domestique de Kouzma Samsonov qu’il avait aperçue la veille.