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vais m’appliquer sur la tête une serviette mouillée ; peut-être te dissiperas-tu. »

Ivan alla prendre une serviette et fit comme il disait ; après quoi, il se mit à marcher de long en large.

« Ça me fait plaisir que nous nous tutoyions, dit le visiteur.

— Imbécile, crois-tu que je vais te dire vous ? Je me sens en train… si seulement je n’avais pas mal à la tête… mais pas tant de philosophie que la dernière fois. Si tu ne peux pas déguerpir, invente au moins quelque chose de gai. Dis-moi des cancans, car tu n’es qu’un parasite. Quel cauchemar tenace ! Mais je ne te crains pas. Je viendrai à bout de toi. On ne m’internera pas !

C’est charmant[1], « parasite ». C’est mon rôle, en effet. Que suis-je sur terre, sinon un parasite ? À propos, je suis surpris de t’entendre ; ma foi, tu commences à me prendre pour un être réel et non pour le produit de ta seule imagination, comme tu le soutenais l’autre fois.

— Je ne t’ai jamais pris un seul instant pour une réalité, s’écria Ivan avec rage. Tu es un mensonge, un fantôme de mon esprit malade. Mais je ne sais comment me débarrasser de toi, je vois qu’il faudra souffrir quelque temps. Tu es une hallucination, l’incarnation de moi-même, d’une partie seulement de moi… de mes pensées et de mes sentiments, mais des plus vils et des plus sots. À cet égard, tu pourrais même m’intéresser, si j’avais du temps à te consacrer.

— Je vais te confondre : tantôt, près du réverbère, quand tu es tombé sur Aliocha en lui criant : « Tu l’as appris de « lui » ! comment sais-tu qu’il vient me voir ? » c’est de moi que tu parlais. Donc, tu as cru un instant que j’existais réellement, dit le gentleman avec un sourire mielleux.

— Oui, c’était une faiblesse… mais je ne pouvais croire en toi. Peut-être la dernière fois t’ai-je vu seulement en songe, et non en réalité ?

— Et pourquoi as-tu été si dur avec Aliocha ? Il est charmant, j’ai des torts envers lui, à cause du starets Zosime.

— Comment oses-tu parler d’Aliocha, canaille ! dit Ivan en riant.

— Tu m’injuries en riant, bon signe. D’ailleurs, tu es bien plus aimable avec moi que la dernière fois, et je comprends pourquoi : cette noble résolution…

— Ne me parle pas de ça, cria Ivan furieux.

— Je comprends, je comprends, c’est noble, c’est charmant[2],

  1. En français dans le texte.
  2. En français dans le texte.