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« J’ai envoyé des bonbons à votre frère Dmitri, à la prison. Aliocha, si vous saviez comme vous êtes gentil ! Je vous aimerai beaucoup pour m’avoir permis si vite de ne pas vous aimer.

— Pourquoi m’avez-vous fait venir aujourd’hui, Lise ?

— Je voulais vous faire part d’un désir. Je veux que quelqu’un me fasse souffrir, qu’il m’épouse, puis me torture, me trompe et s’en aille. Je ne veux pas être heureuse.

— Vous êtes éprise du désordre ?

— Oui, je veux le désordre. Je veux mettre le feu à la maison. Je me représente très bien la chose : je m’en vais en cachette, tout à fait en cachette, mettre le feu ; on s’efforce de l’éteindre ; la maison brûle, je sais et je me tais. Ah ! que c’est bête ! quelle horreur ! »

Elle fit un geste de dégoût.

« Vous vivez richement, dit Aliocha à voix basse.

— Vaut-il donc mieux vivre pauvre ?

— Oui.

— C’est votre défunt moine qui vous racontait ça. Ce n’est pas vrai. Que je sois riche et tous les autres pauvres, je mangerai des bonbons, je boirai de la crème, et je n’en donnerai à personne ! Ah ! ne parlez pas, ne dites rien (elle fit un geste, bien qu’Aliocha n’eût pas ouvert la bouche), vous m’avez déjà dit tout ça auparavant, je le sais par cœur. C’est ennuyeux. Si je suis pauvre, je tuerai quelqu’un, peut-être même tuerai-je étant riche. Pourquoi me gêner ?… Savez-vous, je veux moissonner, moissonner les blés. Je serai votre femme, vous deviendrez un paysan, un vrai paysan ; nous aurons un poulain, voulez-vous ?… Vous connaissez Kalganov ?

— Oui.

— Il rêve en marchant. Il dit : « À quoi bon vivre ? mieux vaut rêver. » On peut rêver les choses les plus gaies ; mais la vie, c’est l’ennui. Il se mariera bientôt, il m’a fait, à moi aussi, une déclaration. Vous savez fouetter un sabot ?

— Oui.

— Eh bien, il est comme un sabot ; il faut le mettre en mouvement, le lancer et le fouetter. Si je l’épouse, je le lancerai toute ma vie. Vous n’avez pas honte de rester avec moi ?

— Non.

— Vous êtes très fâché que je ne parle pas des choses saintes. Je ne veux pas être sainte. Comment punit-on dans l’autre monde le plus grand péché ? Vous devez le savoir au juste.

— Dieu condamne, dit Aliocha en la regardant fixement.