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regardait avec quelque inquiétude Carillon qui se tenait sur le seuil.

Une note courroucée résonnait dans sa voix. Comme il le déclara ensuite, c’était exprès et « pour insulter » le docteur qu’il l’avait appelé « guérisseur ».

« Qu’est-ce à dire ? fit le docteur en fixant Kolia avec surprise. Qui est-ce ? insista-t-il en s’adressant à Aliocha, comme pour lui demander compte.

— C’est le maître de Carillon, guérisseur ; ne vous inquiétez pas de ma personnalité.

— Carillon ? répéta le docteur qui n’avait pas compris.

— Adieu, guérisseur, nous nous reverrons à Syracuse.

— Mais qui est-ce, qui est-ce donc ? fit le docteur exaspéré.

— C’est un écolier, docteur, un polisson, ne faites pas attention, dit vivement Aliocha en fronçant les sourcils. Kolia, taisez-vous ! Ne faites pas attention, répéta-t-il avec quelque impatience.

— Il faut le fouetter, le fouetter, dit le docteur furieux et trépignant.

— Savez-vous, guérisseur, que Carillon pourrait bien vous mordre ! jeta d’une voix tremblante Kolia tout pâle et les yeux étincelants. Ici, Carillon !

— Kolia, si vous dites encore un mot, je romps avec vous pour toujours ! cria impérieusement Aliocha.

— Guérisseur, il n’y a qu’un être au monde qui puisse commander à Nicolas Krassotkine ; le voici (il désigna Aliocha) ; je me soumets, adieu. »

Il ouvrit la porte, rentra dans la chambre. Carillon s’élança à sa suite. Le docteur, demeuré une seconde comme pétrifié, regarda Aliocha, cracha, cria : « C’est intolérable ! » Le capitaine se précipita pour l’aider. Aliocha rentra à son tour. Kolia était déjà au chevet d’Ilioucha. Le malade le tenait par la main et appelait son père. Le capitaine revint bientôt.

« Papa, papa, viens ici… nous… » murmura Ilioucha surexcité, mais, n’ayant pas la force de continuer, il tendit en avant ses bras amaigris, les passa autour de Kolia et de son père qu’il réunit dans la même étreinte en se serrant contre eux.

Le capitaine fut secoué de sanglots silencieux ; Kolia était près de pleurer.

« Papa, papa, comme tu me fais de la peine, papa ! gémit Ilioucha.

— Ilioucha… mon chéri… le docteur a dit… tu guériras… nous serons heureux.

— Ah, papa, je sais bien ce que le nouveau docteur t’a dit à mon sujet… J’ai vu ! » s’exclama Ilioucha.