Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/190

Cette page n’a pas encore été corrigée

plus. Je n’estime que les mathématiques et les sciences naturelles », dit d’un ton prétentieux Kolia en regardant Aliocha à la dérobée ; il ne redoutait que son opinion.

Mais Aliocha restait grave et silencieux. S’il avait parlé alors, les choses en fussent restées là, mais il se taisait et « son silence pouvait être dédaigneux », ce qui irrita tout à fait Kolia.

« Voici qu’on nous impose de nouveau l’étude des langues mortes, c’est de la folie pure… Vous ne paraissez toujours pas d’accord avec moi, Karamazov ?

— Non, fit Aliocha qui retint un sourire.

— Si vous voulez mon opinion, les langues mortes c’est une mesure de police, voilà leur unique raison d’être. » — Et peu à peu Kolia recommença à haleter — « Si on les a inscrites au programme, c’est qu’elles sont ennuyeuses et qu’elles abêtissent. Que faire pour aggraver la torpeur et la sottise régnantes ? On a imaginé les langues mortes. Voilà mon opinion, et j’espère ne jamais en changer. » — Il rougit légèrement.

« C’est vrai, approuva d’un ton convaincu Smourov, qui avait écouté avec attention.

— Il est le premier en latin, fit remarquer un des écoliers.

— Oui, papa, il a beau parler comme ça, c’est le premier de la classe en latin », confirma Ilioucha.

Bien que l’éloge lui fût fort agréable, Kolia crut nécessaire de se défendre.

« Eh bien, quoi ? Je pioche le latin parce qu’il le faut, parce que j’ai promis à ma mère d’achever mes études, et, à mon avis, quand on a entrepris quelque chose, on doit le faire comme il faut, mais dans mon for intérieur je méprise profondément les études classiques et toute cette bassesse… Vous n’êtes pas d’accord, Karamazov ?

— Que vient faire ici la bassesse ? demanda Aliocha en souriant.

— Permettez, comme tous les classiques ont été traduits dans toutes les langues, ce n’est pas pour les étudier qu’on a besoin du latin ; c’est une mesure de police destinée à émousser les facultés. N’est-ce pas de la bassesse ?

— Mais qui vous a enseigné tout cela ? s’exclama Aliocha, enfin surpris.

— D’abord, je suis capable de le comprendre moi-même, sans qu’on me l’enseigne ; ensuite, sachez que ce que je viens de vous expliquer au sujet des traductions des classiques, le professeur Kolbasnikov lui-même l’a dit devant toute la troisième…