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marqué sa taille au crayon sur le mur, et tous les deux mois, le cœur battant, il se mesurait pour voir s’il avait grandi. Hélas ! il grandissait fort lentement, ce qui le mettait parfois au désespoir. Quant à son visage, il n’était nullement « laid », mais au contraire assez gentil, pâle, semé de taches de rousseur. Les yeux gris et vifs regardaient hardiment et brillaient souvent d’émotion. Il avait les pommettes un peu larges ; de petites lèvres plutôt minces, mais très rouges ; le nez nettement retroussé, « tout à fait camus, tout à fait camus ! » murmurait en se regardant au miroir Kolia, qui se retirait toujours avec indignation. « Et je ne dois même pas avoir l’air intelligent », songeait-il parfois, doutant même de cela. Il ne faudrait d’ailleurs pas croire que le souci de sa figure et de sa taille l’absorbât tout entier. Au contraire, si vexantes que fussent les stations devant le miroir, il les oubliait bientôt et pour longtemps, « en se consacrant tout entier aux idées et à la vie réelle », ainsi que lui-même définissait son activité.

Aliocha parut bientôt et s’avança rapidement vers Kolia ; celui-ci remarqua de loin qu’il avait l’air radieux. « Est-il vraiment si content de me voir ? » songeait Kolia avec satisfaction. Notons, en passant, qu’Aliocha avait beaucoup changé depuis que nous l’avons quitté ; il avait abandonné le froc et portait maintenant une redingote de bonne coupe, un feutre gris, les cheveux courts. Il avait gagné au change et paraissait un beau jeune homme. Son charmant visage respirait toujours la gaieté, mais une gaieté douce et tranquille. Kolia fut surpris de le voir sans pardessus ; il avait dû se dépêcher. Il tendit la main à l’écolier.

« Vous voilà enfin, dit-il ; nous vous attendions avec impatience.

— Mon retard avait des causes que vous apprendrez. En tout cas, je suis heureux de faire votre connaissance. J’en attendais l’occasion, on m’a beaucoup parlé de vous, murmura Kolia, un peu gêné.

— Nous aurions fait de toute façon connaissance ; moi aussi j’ai beaucoup entendu parler de vous, mais ici vous venez trop tard.

— Dites-moi, comment cela va-t-il, ici ?

— Ilioucha va très mal, il ne s’en tirera pas.

— Est-ce possible ? Convenez que la médecine est une infamie, Karamazov, dit Kolia avec chaleur.

— Ilioucha s’est souvenu de vous bien des fois, même dans son délire. On voit que vous lui étiez très cher auparavant…