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avec les professeurs et leurs femmes, cajola même les camarades de son fils, pour éviter qu’on se moquât de lui ou qu’on le battît. Ce fut au point que les écoliers commencèrent vraiment à se moquer de Kolia, à taquiner « le petit chéri à sa maman ». Mais le garçon sut se faire respecter. Il était hardi et passa bientôt en classe pour « rudement fort », avec cela adroit, de caractère opiniâtre, d’esprit audacieux et entreprenant. C’était un bon élève ; le bruit courait même que pour l’arithmétique et l’histoire universelle il damait le pion à son maître Dardanélov. Mais Kolia, tout en affectant un air de supériorité, était bon camarade et pas fier. Il acceptait comme dû le respect des écoliers et observait envers eux une attitude amicale. Il avait surtout le sens de la mesure, savait se retenir à l’occasion, et ne dépassait jamais à l’égard des professeurs la dernière limite au-delà de laquelle l’espièglerie, devenant du désordre et de l’insubordination, ne saurait être tolérée. Cependant il était toujours prêt à polissonner comme le dernier des gamins, quand l’occasion s’en présentait, ou plutôt à faire le malin, à épater la galerie. Rempli d’amour-propre, il avait su prendre de l’ascendant jusque sur sa mère, qui subissait depuis longtemps son despotisme. Seule l’idée que son fils l’aimait peu lui était insupportable : Kolia lui paraissait toujours « insensible » envers elle et parfois dans une crise de larmes elle lui reprochait sa froideur. Le garçon n’aimait pas cela, et plus on exigeait de lui des effusions, plus il s’y dérobait. C’était là d’ailleurs un effet de son caractère et non de sa volonté. Sa mère se trompait ; il la chérissait, seulement il détestait « les tendresses de veau », comme il disait dans son langage d’écolier. Son père ayant laissé une bibliothèque, Kolia, qui adorait la lecture, restait parfois, à la grande surprise de sa mère, plongé des heures entières dans les livres, au lieu d’aller jouer. Il lut ainsi des choses au-dessus de son âge. Dans les derniers temps ses polissonneries — sans être perverses — épouvantaient sa mère par leur extravagance. Durant les vacances, en juillet, la mère et le fils allèrent passer huit jours chez une parente dont le mari était employé de chemin de fer à la gare la plus rapprochée de notre ville. (C’est là, à soixante-dix verstes, qu’Ivan Fiodorovitch Karamazov avait pris le train pour Moscou, un mois auparavant.) Kolia commença par examiner en détail le chemin de fer et son fonctionnement, afin de pouvoir ensuite éblouir ses camarades par ses nouvelles connaissances. En même temps, il se lia avec six ou sept gamins du