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— Comprenez, monsieur Karamazov, qu’il est essentiel pour nous de le savoir, dit doucement Nicolas Parthénovitch.

— Je le comprends, mais je ne le dirai pas. »

Le procureur, à son tour, rappela que l’inculpé pouvait ne pas répondre aux questions s’il le jugeait préférable, mais que, vu le tort qu’il se faisait par son silence, vu surtout l’importance des questions…

« Et ainsi de suite, messieurs, et ainsi de suite ! J’en ai assez, j’ai déjà entendu cette litanie. Je comprends la gravité de l’affaire : c’est là le point capital, pourtant je ne parlerai pas.

— Qu’est-ce que cela peut nous faire ? C’est à vous que vous nuisez, insinua nerveusement Nicolas Parthénovitch.

— Trêve de plaisanteries, messieurs. J’ai pressenti dès le début que nous nous heurterions sur ce point. Mais alors, quand j’ai commencé à déposer, tout était pour moi trouble et flottant, j’ai même eu la simplicité de vous proposer « une confiance mutuelle ». Maintenant, je vois que cette confiance était impossible, puisque nous devions arriver à cette barrière maudite, et nous y sommes. D’ailleurs, je ne vous reproche rien, je comprends bien que vous ne pouvez pas me croire sur parole ! »

Mitia se tut, l’air sombre.

« Ne pourriez-vous pas, sans renoncer à votre résolution de taire l’essentiel, nous renseigner sur ce point : quels sont les motifs assez puissants pour vous contraindre au silence dans un moment si critique ? »

Mitia sourit tristement.

« Je suis meilleur que vous ne le pensez, messieurs, je vous dirai ces motifs, bien que vous ne le méritiez pas. Je me tais parce qu’il y a là pour moi un sujet de honte. La réponse à la question sur la provenance de l’argent implique une honte pire que si j’avais assassiné mon père pour le voler. Voilà pourquoi je me tais. Eh ! quoi, messieurs, vous voulez noter cela ?

— Oui, nous allons le noter, bredouilla Nicolas Parthénovitch.

— Vous ne devriez pas mentionner ce qui concerne « la honte ». Si je vous en ai parlé, alors que je pouvais me taire, c’est uniquement par complaisance. Eh bien, écrivez, écrivez ce que vous voulez, conclut-il d’un air dégoûté, je ne vous crains pas et… je garde ma fierté devant vous.