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— Nous ne pouvons tenir compte d’une telle déposition, inspirée par la colère. Nos questions vous paraissent futiles et vous irritent, alors qu’elles sont très importantes, dit sèchement le procureur.

— De grâce, messieurs ! J’ai pris ce pilon… Pourquoi prend-on quelque chose en pareil cas ? Je l’ignore. Je l’ai pris et me suis sauvé. Voilà tout. C’est honteux, messieurs ; passons[1], sinon je vous jure que je ne dirai plus mot. »

Il s’accouda, la tête dans la main. Il était assis de côté, par rapport à eux, et regardait le mur, s’efforçant de surmonter un mauvais sentiment. Il avait, en effet, grande envie de se lever, de déclarer qu’il ne dirait plus un mot, « dût-on le mener au supplice ».

« Voyez-vous, messieurs, en vous écoutant, il me semble faire un rêve, comme ça m’arrive parfois… Je rêve souvent que quelqu’un me poursuit, quelqu’un dont j’ai grand-peur et qui me cherche dans les ténèbres. Je me cache honteusement derrière une porte, derrière une armoire. L’inconnu sait parfaitement où je me trouve, mais il feint de l’ignorer afin de me torturer plus longtemps, de jouir de ma frayeur… C’est ce que vous faites maintenant !

— Vous avez de pareils rêves ? s’informa le procureur.

— Oui, j’en ai… Ne voulez-vous pas le noter ?

— Non, mais vous avez d’étranges rêves.

— Maintenant, ce n’est plus un rêve ! C’est la réalité, messieurs, le réalisme de la vie ! Je suis le loup, vous êtes les chasseurs !

— Votre comparaison est injuste… dit doucement le juge.

— Pas du tout, messieurs ! fit Mitia avec irritation, bien que sa brusque explosion de colère l’eût soulagé. Vous pouvez refuser de croire un criminel ou un inculpé que vous torturez avec vos questions, mais non un homme animé de nobles sentiments (je le dis hardiment). Vous n’en avez pas le droit. Mais

« Silence, mon cœur,
Supporte, résigne-toi, tais-toi ! »

…Faut-il continuer ? demanda-t-il d’un ton revêche.

— Comment donc, je vous en prie » dit le juge.

  1. En français dans le texte.