Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/100

Cette page n’a pas encore été corrigée

faveur rose qui l’entourait. Dans la déposition de Piotr Ilitch, une chose attira l’attention des magistrats : la supposition que Dmitri Fiodorovitch se suiciderait le lendemain matin, d’après ses propres paroles, le pistolet chargé, le billet qu’il avait écrit, etc. Comme Piotr Ilitch, incrédule, le menaçait d’une dénonciation pour l’en empêcher, Mitia avait répliqué en souriant : « Tu n’auras pas le temps. » Il fallait donc se rendre en toute hâte à Mokroïé pour arrêter le criminel avant qu’il eût mis fin à ses jours. « C’est clair, c’est clair », répétait le procureur surexcité, « de pareilles tête brûlées agissent toujours ainsi : ils font la noce avant d’en finir. » Le récit des emplettes de Dmitri l’échauffa davantage. « Rappelez-vous, messieurs, l’assassin du marchand Olsoufiev, qui s’empara de quinze cents roubles. Son premier soin fut de se friser, puis d’aller chez des filles, sans prendre la peine de dissimuler l’argent. » Mais l’enquête, les formalités demandaient du temps ; on dépêcha donc à Mokroïé le stanovoï Mavriki Mavrikiévitch Chmertsov, venu en ville toucher son traitement. Il reçut pour instructions de surveiller discrètement le « criminel » jusqu’à l’arrivée des autorités compétentes, de former une escorte, etc. Gardant l’incognito, il mit seulement au courant d’une partie de l’affaire Tryphon Borissytch, une ancienne connaissance. C’est alors que Mitia avait rencontré sur la galerie le patron qui le cherchait et remarqué un changement dans l’expression et le ton du personnage. Mitia et ses compagnons ignoraient donc la surveillance dont ils étaient l’objet ; quand à la boîte aux pistolets, le patron l’avait depuis longtemps mise en lieu sûr. À cinq heures seulement, presque à l’aube, arrivèrent les autorités, dans deux voitures. Le médecin était resté chez Fiodor Pavlovitch, pour faire l’autopsie et surtout parce que l’état de Smerdiakov l’intéressait fort. « Des crises d’épilepsie aussi violentes et aussi longues, durant deux jours, sont fort rares et appartiennent à la science », déclara-t-il à ses partenaires lors de leur départ, et ceux-ci le félicitèrent, en riant, de cette trouvaille. Il avait même affirmé que Smerdiakov ne vivrait pas jusqu’au matin.

Après cette digression un peu longue, mais nécessaire, nous reprenons notre récit à l’endroit où nous l’avons laissé.