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une fois compris, vous le connaîtrez toujours davantage, chaque jour. Et vous finirez par aimer le monde entier d’un amour universel. Aimez les animaux, car Dieu leur a donné le principe de la pensée et une joie paisible. Ne la troublez pas, ne les tourmentez pas en leur ôtant cette joie, ne vous opposez pas au plan de Dieu. Homme, ne te dresse pas au-dessus des animaux ; ils sont sans péché, tandis qu’avec ta grandeur tu souilles la terre par ton apparition, laissant après toi une trace de pourriture, c’est le sort de presque chacun de nous, hélas ! Aimez particulièrement les enfants, car eux aussi sont sans péché, comme les anges, ils existent pour toucher nos cœurs, les purifier, ils sont pour nous comme une indication. Malheur à qui offense un de ces petits ! C’est le frère Anthyme qui m’a appris à les aimer ; sans rien dire, avec les kopeks qu’on nous donnait dans nos pérégrinations, il achetait parfois du sucre d’orge et du pain d’épice pour les leur distribuer ; il ne pouvait passer près des enfants sans être ému.

On se demande parfois, surtout en présence du péché : « Faut-il recourir à la force ou à l’humble amour ? » N’employez jamais que cet amour, vous pourrez ainsi soumettre le monde entier. L’humanité pleine d’amour est une force redoutable, à nulle autre pareille. Chaque jour, à chaque instant, surveillez-vous, gardez une attitude digne. Vous avez passé à côté d’un petit enfant en blasphémant, sous l’empire de la colère, sans le remarquer ; mais lui vous a vu, et il garde peut-être dans son cœur innocent votre image avilissante. Sans le savoir vous avez peut-être semé dans son âme un mauvais germe qui risque de se développer, et cela parce que vous vous êtes oublié devant cet enfant, parce que vous n’avez pas cultivé en vous l’amour actif, réfléchi. Mes frères, l’amour est un maître, mais il faut savoir l’acquérir, car il s’acquiert difficilement, au prix d’un effort prolongé ; il faut aimer, en effet, non pour un instant, mais jusqu’au bout. N’importe qui, même un scélérat, est capable d’un amour fortuit. Mon frère demandait pardon aux oiseaux ; cela semble absurde, mais c’est juste, car tout ressemble à l’Océan, où tout s’écoule et communique, on touche à une place et cela se répercute à l’autre bout du monde. Admettons que ce soit une folie de demander pardon aux oiseaux, mais les oiseaux, et l’enfant, et chaque animal qui vous entoure se sentiraient plus à l’aise, si vous-même étiez plus digne que vous ne l’êtes maintenant, si peu que ce fût. Alors vous prieriez les oiseaux ; possédé tout entier par l’amour dans une sorte d’extase,