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suivant ses propres paroles sur cette terre. Et l’humanité l’attend avec la même foi que jadis, une foi plus ardente encore, car quinze siècles ont passé depuis que le ciel a cessé de donner des gages à l’homme :

Crois ce que te dira ton cœur,
Les cieux ne donnent point de gages[1]

« Il est vrai que de nombreux miracles se produisaient alors : des saints accomplissaient des guérisons merveilleuses, la Reine des cieux visitait certains justes, à en croire leur biographie. Mais le diable ne sommeille pas ; l’humanité commença à douter de l’authenticité de ces prodiges. À ce moment naquit en Allemagne une terrible hérésie qui niait les miracles. « Une grande étoile ardente comme un flambeau (l’Église évidemment ! ), tomba sur les sources des eaux qui devinrent amères[2]. » La foi des fidèles ne fit que redoubler. Les larmes de l’humanité s’élèvent vers lui comme autrefois, on l’attend, on l’aime, on espère en lui comme jadis… Depuis tant de siècles, l’humanité prie avec ardeur : « Seigneur Dieu, daigne nous apparaître », depuis tant de siècles elle crie vers lui, qu’il a voulu, dans sa miséricorde infinie, descendre vers ses fidèles. Auparavant, il avait déjà visité des justes, des martyrs, de saints anachorètes, comme le rapportent leurs biographes. Chez nous, Tioutchev, qui croyait profondément à la vérité de ses paroles, a proclamé que :

Accablé sous le faix de sa croix,
Le Roi des cieux, sous une humble apparence,
T’a parcourue, terre natale,
Tout entière en te bénissant[3]

« Mais voilà qu’il a voulu se montrer pour un instant au moins au peuple souffrant et misérable, au peuple croupissant dans le péché, mais qui l’aime naïvement. L’action se passe en Espagne, à Séville, à l’époque la plus terrible de l’Inquisition, lorsque chaque jour s’allumaient des bûchers à la gloire de Dieu et que

  1. Schiller, Sehnsucht, st. 4, citée dans la traduction plutôt libre de Joukovski.
  2. Jean, Apocalypse, VII, 10, 11.
  3. Tioutchev : Oh, ces misérables villages…, st. 3.