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de crier : « Tu as raison, Seigneur, car tes voies nous sont révélées. »

— Ah ! oui, « le seul sans péché » et « qui a versé son sang ». Non, je ne l’ai pas oublié, je m’étonnais, au contraire, que tu ne l’aies pas encore mentionné, car dans les discussions les vôtres commencent par le mettre en avant, d’habitude. Sais-tu, mais ne ris pas, que j’ai composé un poème, l’année dernière ? Si tu peux m’accorder encore dix minutes, je te le raconterai.

— Tu as écrit un poème ?

— Non, fit Ivan en riant, car je n’ai jamais fait deux vers dans ma vie. Mais j’ai rêvé ce poème et je m’en souviens. Tu seras mon premier lecteur, ou plutôt mon premier auditeur. Pourquoi ne pas profiter de ta présence ? Veux-tu ?

— Je suis tout oreilles.

— Mon poème s’intitule le Grand Inquisiteur, il est absurde, mais je veux te le faire connaître. »


V

Le grand inquisiteur

« Un préambule est nécessaire au point de vue littéraire. L’action se passe au XVIe siècle. Tu sais qu’à cette époque il était d’usage de faire intervenir dans les poèmes les puissances célestes. Je ne parle pas de Dante. En France, les clercs de la basoche et les moines donnaient des représentations où l’on mettait en scène la Madone, les anges, les saints, le Christ et Dieu le Père. C’étaient des spectacles naïfs. Dans Notre-Dame de Paris[1], de Victor Hugo, en l’honneur de la naissance du dauphin, sous Louis XI, à Paris, le peuple est convié à une représentation édifiante et gratuite : le Bon jugement de la très sainte et gracieuse Vierge Marie[2]. Dans ce mystère, la Vierge paraît en personne et prononce

  1. Dostoïevski confond les clercs de la basoche avec les confrères de la Passion. Il n’a probablement connu les origines du théâtre français que par le roman de Victor Hugo (1831).
  2. En français dans le texte.