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— Non, d’après certains indices, elle ne viendra pas aujourd’hui, sûrement pas ! s’écria Dmitri. C’est aussi le sentiment de Smerdiakov. Le vieux est maintenant attablé avec Ivan, en train de boire. Va donc, Alexéi, demande-lui ces trois mille roubles.

— Mitia, mon cher, qu’as-tu donc ! s’exclama Aliocha en bondissant de sa place pour examiner le visage égaré de Dmitri. Il crut un instant que son frère était devenu fou.

— Eh bien ! quoi ? Je n’ai pas perdu l’esprit, proféra celui-ci, le regard fixe et presque solennel. N’aie crainte. Je sais ce que je dis, je crois aux miracles.

— Aux miracles ?

— Aux miracles de la Providence. Dieu connaît mon cœur. Il voit mon désespoir. Est-ce qu’il laisserait s’accomplir une telle horreur ? Aliocha, je crois aux miracles, va !

— J’irai. Dis-moi, tu m’attendras ici ?

— Bien sûr. Je comprends que ce sera long, on ne peut pas l’aborder carrément. Il est ivre à présent. J’attendrai ici trois, quatre, cinq heures, mais sache qu’aujourd’hui, même à minuit, tu dois aller chez Catherine, avec ou sans argent, et lui dire : « Dmitri Fiodorovitch m’a prié de vous saluer. » Je veux que tu répètes cette phrase exactement.

— Mitia, et si Grouchegnka vient aujourd’hui… ou demain, ou après-demain ?

— Grouchegnka ? Je surveillerai, je forcerai la porte et j’empêcherai.

— Mais si…

— Alors, je tuerai. Je ne le supporterai pas.

— Qui tueras-tu ?

— Le vieux. Elle, je ne la toucherai pas.

— Frère, que dis-tu ?

— Je ne sais pas, je ne sais pas… Peut-être le tuerai-je, peut-être ne le tuerai-je pas. Je crains de ne pouvoir supporter son visage à ce moment-là. Je hais sa pomme d’Adam, son nez, ses yeux, son sourire impudent. Il me dégoûte. Voilà ce qui m’effraie, je ne pourrai pas me contenir.

— Je vais, Mitia. Je crois que Dieu arrangera tout pour le mieux, et nous épargnera ces choses horribles.

— Et moi, j’attendrai le miracle. Mais, s’il ne s’accomplit pas, alors… »

Aliocha, pensif, s’en alla chez son père.