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me pardonner… J’ai besoin d’être absous par un être plus noble que moi. Écoute donc. Supposons que deux êtres s’affranchissent des servitudes terrestres, et planent dans une région supérieure, l’un d’eux, tout au moins. Que celui-ci, avant de s’envoler ou de disparaître, s’approche de l’autre et lui dise : « fais pour moi ceci ou cela », des choses qu’il n’est jamais d’usage d’exiger, qu’on ne demande que sur le lit de mort. Est-ce que celui qui reste refuserait, si c’est un ami, un frère ?

— Je le ferais, mais dis-moi de quoi il s’agit.

— Vite… Hum ! Ne te dépêche pas, Aliocha ; en se dépêchant, on se tourmente. Inutile de se hâter, maintenant. Le monde entre dans une ère nouvelle. Quel dommage, Aliocha, que tu ne t’enthousiasmes jamais. Mais que dis-je ? C’est moi qui manque d’enthousiasme ! Nigaud que je suis !

Homme, sois noble !

De qui est ce vers[1] ? »

Aliocha résolut d’attendre. Il avait compris que peut-être en effet toute son activité se déploierait en ce lieu. Dmitri demeura un moment songeur, accoudé sur la table, le front dans la main. Tous deux se taisaient.

« Aliocha, toi seul m’écouteras sans rire. Je voudrais commencer… ma confession… par un hymne à la joie, comme Schiller, An die Freude ! Mais je ne connais pas l’allemand, je sais seulement que c’est : An die Freude[2]. Ne

  1. Vers initial d’une poésie célèbre de Goethe, Das Goettlich (le Divin) : Edel sei der Mensch.
  2. À la joie. En réalité, seules les deux dernières strophes que Dostoïevski cite dans la traduction de Tioutchev, correspondent respectivement aux strophes 3 et 4 de l’ode de Schiller. Les quatre premières strophes sont empruntées à la traduction par Joukovski d’une autre poésie de Schiller : Das eleusische Fest (la Fête d’Eleusis), strophes 2, 3 et 7. Quant aux deux premiers vers : Tel Silène vermeil…, ils proviennent d’une adaptation par un certain Likhatchef d’une troisième poésie de Schiller : Die Götter Griechenlands (Les Dieux de la Grèce) ; il n’est d’ailleurs pas question de Silène dans l’original. Les traductions poétiques de Tioutchev de Joukovski diffèrent parfois assez sensiblement, elles aussi, du texte allemand.