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prince dut entrer dans de longues explications avec cet homme qui le considérait, lui et son paquet, d’un air de défiance. À la fin, sur la déclaration plusieurs fois répétée qu’il était réellement le prince Muichkine et qu’il avait absolument besoin de voir le général pour une affaire urgente, le domestique l’introduisit dans une petite antichambre précédant le salon de réception et voisine du cabinet ; après quoi, il se retira, laissant le nouveau venu entre les mains d’un autre valet. Celui-ci, âgé d’une quarantaine d’années et vêtu d’un frac, était spécialement chargé d’annoncer les visiteurs à Son Excellence. Sa physionomie soucieuse montrait combien il était pénétré de l’importance de ses fonctions.

— Entrez un instant au salon et laissez ici votre paquet, dit-il en s’asseyant dans son fauteuil avec une gravité compassée ; en même temps, d’un œil étonné et sévère il examinait le prince, qui, sans se dessaisir de son modeste bagage, avait pris une chaise à côté de lui.

— Si vous le permettez, j’attendrai ici en votre compagnie ; qu’est-ce que je ferais là tout seul ?

— Puisque vous venez en visite, vous ne pouvez pas rester dans l’antichambre. C’est au général lui-même que vous désirez parler ?

Évidemment le laquais ne pouvait se faire à l’idée d’introduire un pareil visiteur ; voilà pourquoi il avait réitéré sa question.

— Oui, j’ai une affaire… commença le prince.

— Je ne vous demande pas quelle est votre affaire, la mienne est seulement de vous annoncer, mais, je vous l’ai déjà dit, il faut auparavant que je voie le secrétaire.

Le domestique se sentait de plus en plus enclin à la défiance : le prince différait trop des visiteurs ordinaires. Sans doute, le général ne recevait pas que du beau monde ; ceux-là surtout qui l’allaient voir pour affaires appartenaient souvent à des conditions fort diverses. Le valet de chambre savait très-bien cela et il avait pour consigne de se montrer assez coulant ; néanmoins, dans la circonstance présente, il