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pouvez pas, sans doute, échapper à la loi commune, déclara hautement Hippolyte.

— Peut-être, c’est fort possible, s’empressa d’admettre le prince, — quoique je ne comprenne pas de quelle loi commune vous parlez. Mais je continue, seulement ne vous formalisez pas mal à propos ; je vous jure que je n’ai pas la moindre intention de vous blesser. Et qu’est-ce que c’est que cela, en effet, messieurs ? On ne peut pas dire une seule parole sincère sans qu’aussitôt vous vous gendarmiez ! Mais, d’abord, j’ai été stupéfait quand Tchébaroff m’a appris qu’il existait un « fils de Pavlichtcheff », et que ce fils se trouvait dans une situation si affreuse. Pavlichtcheff a été mon bienfaiteur et l’ami de mon père. (Ah ! pourquoi, monsieur Keller, avez-vous dans votre article imputé à mon père des faits absolument controuvés ? Il n’a dissipé aucune somme appartenant à sa compagnie et n’a maltraité aucun de ses subordonnés, — de cela je suis positivement convaincu ; et comment votre main ne s’est-elle pas refusée à écrire une pareille calomnie ?) Mais vos assertions en ce qui concerne Pavlichtcheff, celles-là sont tout à fait intolérables ! De cet homme si noble vous n’hésitez pas à faire un libertin, vous le traitez de voluptueux avec autant d’assurance que si vous disiez la vérité, et pourtant il n’y a jamais eu au monde d’homme plus chaste ! C’était même un savant remarquable ; il était en correspondance avec plusieurs célébrités scientifiques, et il a dépensé beaucoup d’argent dans l’intérêt de la science. Quant à son cœur, quant à ses bonnes actions, oh ! sans doute, vous avez été dans le vrai en écrivant qu’alors j’étais presque idiot et que je ne pouvais rien comprendre (le russe, pourtant, je le parlais et le comprenais), mais je puis apprécier tout ce qu’à présent je me rappelle…

— Permettez, cria Hippolyte, — ne sera-ce pas trop sentimental ? Nous ne sommes pas des enfants. Vous vouliez aller droit au fait, il est plus de neuf heures, n’oubliez pas cela.

— Soit, soit, messieurs, reprit le prince ; — tout d’abord, j’avais accueilli cette nouvelle avec défiance, puis je me dis