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Keller, un portrait extrêmement flatteur dans votre article, poursuivit le prince en se tournant avec un sourire vers le boxeur ; — mais il ne m’a pas plu du tout. J’ai compris à première vue que ce Tchébaroff était la cheville ouvrière de tout cela, et que, pour parler franchement, il vous avait peut-être amené, monsieur Bourdovsky, à produire cette réclamation en abusant de votre simplicité.

— Vous n’avez pas le droit… je ne suis pas… simple… cela… balbutia Bourdovsky fort agité.

— Vous n’avez nullement le droit de faire de pareilles suppositions, observa d’un ton d’autorité le neveu de Lébédeff.

— C’est offensant au plus haut degré ! vociféra Hippolyte ; — c’est une supposition blessante, fausse et hors de propos.

— Pardon, messieurs, pardon, s’excusa aussitôt le prince : — je vous en prie, pardonnez-moi ; j’avais pensé qu’il valait mieux procéder de part et d’autre avec une entière franchise, mais, du reste, c’est comme vous voudrez. J’ai répondu à Tchébaroff que, n’étant pas à Pétersbourg, j’allais immédiatement charger un ami de suivre cette affaire et que je vous le ferais savoir, monsieur Bourdovsky. Je n’hésite pas à vous le dire, messieurs, c’est précisément l’intervention de Tchébaroff qui m’a fait soupçonner ici une filouterie… Oh ! ne vous offensez pas de mes paroles, messieurs : pour l’amour de Dieu, ne soyez pas si susceptibles ! s’écria le prince effrayé en voyant que Bourdovsky se fâchait de nouveau et que les autres recommençaient à protester : — si je dis que j’ai considéré cette affaire comme une filouterie, il n’y a là rien qui puisse vous être personnel ! Je ne connaissais alors personnellement aucun de vous, j’ignorais vos noms ; j’ai jugé d’après Tchébaroff seul ; je parle en général, car… si vous saviez seulement combien on m’a floué depuis que j’ai fait un héritage !

— Prince, vous êtes terriblement naïf, remarqua d’un ton moqueur le neveu de Lébédeff.

— Et avec cela — prince et millionnaire ! Quoique vous ayez peut-être, en effet, le cœur bon et simple, pourtant vous ne