Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/376

Cette page a été validée par deux contributeurs.

ami sincère. Je l’ai seulement lu à Bourdovsky, et encore pas tout entier ; il m’a immédiatement autorisé à le publier, mais convenez que je pouvais le faire paraître, même sans avoir son consentement. La publicité est un droit universel, noble et bienfaisant. J’espère que vous-même, prince, êtes trop progressiste pour le nier…

— Je ne nie rien, mais avouez que votre article…

— Est roide, voulez-vous dire ? Mais c’est en quelque sorte l’intérêt de la société qui veut cela, convenez-en vous-même, et enfin est-il possible de passer sous silence un fait criant ? Tant pis pour les coupables, mais le bien de la société avant tout. Quant à certaines inexactitudes, à certaines hyperboles, pour ainsi dire, vous conviendrez aussi que l’important, c’est l’initiative, le but, l’intention. Avant tout, il s’agit d’un exemple bienfaisant, plus tard nous examinerons les cas particuliers ; et enfin, en ce qui concerne le style, eh bien, c’est, pour ainsi dire, un morceau humoristique, et enfin tout le monde écrit comme cela, convenez-en vous-même ! Ha, ha !

— Mais vous vous êtes complètement fourvoyés, je vous l’assure, messieurs ! cria le prince, — vous avez publié l’article dans la supposition que je ne consentirais jamais à satisfaire monsieur Bourdovsky ; partant de là, vous avez voulu, par cette publication, m’intimider et tirer vengeance de mon refus présumé. Mais que saviez-vous de mes intentions ? Il se peut que j’aie résolu de donner satisfaction à monsieur Bourdovsky. Je vous déclare maintenant sans détour, devant toutes les personnes présentes, que je le satisferai…

— Voilà, enfin, la parole noble et intelligente d’un homme intelligent et très-noble ! proclama le boxeur.

— Mon Dieu ! s’écria involontairement Élisabeth Prokofievna.

— C’est intolérable ! grommela le général.

— Permettez donc, messieurs, permettez, supplia le prince, — je vais exposer l’affaire : il y a cinq semaines, me trouvant à Z…, j’ai reçu la visite de Tchébaroff, votre fondé de pouvoir, monsieur Bourdovsky. Vous avez fait de lui, monsieur