Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/374

Cette page a été validée par deux contributeurs.

grossier et d’un développement inférieur ; nous vous dénierons ouvertement le droit de parler désormais de votre honneur et de votre conscience, parce que ce droit, vous voulez l’acheter à trop bon marché. J’ai fini. J’ai posé la question. Chassez-nous donc maintenant, si vous l’osez. Vous pouvez le faire, vous avez la force. Mais rappelez-vous que nous exigeons, et que nous ne sollicitons pas. Nous exigeons, nous ne sollicitons pas !…

Sur ces mots prononcés avec une extrême chaleur, le neveu de Lébédeff s’arrêta.

— Nous exigeons, nous exigeons, nous exigeons, et nous ne sollicitons pas !… bégaya Bourdovsky, rouge comme un homard.

Après le discours du neveu de Lébédeff, un certain mouvement se produisit dans la société ; des murmures même se firent entendre, quoique, à l’exception de Lébédeff toujours fort animé, tous évitassent avec un soin marqué de s’immiscer dans l’affaire. Chose étrange, l’employé qui évidemment était pour le prince semblait fier de l’éloquence de son neveu ; du moins il promenait sur le public un regard où perçait une vaniteuse satisfaction.

— Selon moi, commença le prince d’un ton assez bas, — selon moi, vous avez parfaitement raison, monsieur Doktorenko, dans la moitié de ce que vous venez de dire ; je consens même à vous faire la part beaucoup plus large encore, et je serais tout à fait d’accord avec vous si, dans vos paroles, vous n’aviez pas perdu de vue quelque chose. Ce qui vous a échappé, je ne suis pas en état de vous le dire d’une façon bien précise, mais certainement il manque quelque chose à votre langage pour être tout à fait juste. Du reste, laissons cela et revenons à l’affaire. Dites-moi, messieurs, pourquoi avez-vous publié cet article ? Il ne renferme pas un mot qui ne soit une calomnie ; aussi, messieurs, selon moi, vous avez fait une bassesse.

— Permettez !…

— Monsieur !…