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Le prince Muichkine se leva à demi, tendit poliment la main à Rogojine et lui répondit d’un ton aimable :

— J’irai vous voir avec le plus grand plaisir et je vous suis très-reconnaissant de l’amitié que vous me témoignez. Peut-être même passerai-je chez vous dès aujourd’hui, si j’ai le temps. Vous-même, je vous le dis franchement, vous m’avez beaucoup plu, surtout quand vous avez raconté cette histoire de pendeloques ; mais auparavant déjà vous me plaisiez, malgré votre air sombre. Je vous remercie aussi pour les vêtements et la pelisse que vous me promettez, car bientôt, en effet, j’aurai besoin de tout cela. En ce moment je possède à peine un kopek.

— Tu auras de l’argent, tu en auras dès ce soir, viens !

— Vous en aurez, répéta comme un écho l’employé, — pas plus tard que ce soir vous en aurez !

— Et êtes-vous grand amateur du sexe féminin, prince ? Dites-moi cela bien vite !

— N-n-non ! Voyez-vous, je… Vous ne le savez peut-être pas, mais, par suite de ma maladie congénitale, je n’ai même aucune connaissance de la femme.

— Eh bien, s’il en est ainsi, prince, s’écria Rogojine, — tu es un véritable iourodivii et Dieu aime les gens comme toi.

— Le Seigneur Dieu les aime, fit à son tour l’employé.

— Toi, suis-moi, taon, dit Rogojine à Lébédeff, et tous descendirent du train.

Lébédeff avait enfin atteint son but. Bientôt la bande bruyante partit dans la direction de la perspective Voznésensky. C’était du côté de la Litéinaïa que Muichkine devait aller. Le temps était humide. Le prince questionna les passants, et quand il sut qu’il avait trois verstes à faire pour arriver à destination, il se décida à prendre une voiture.