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maintenant j’aime le « chevalier pauvre », et, surtout, je respecte ses hauts faits.

Ainsi finit Aglaé, et, en l’observant, il était difficile de reconnaître si elle parlait sérieusement ou pour rire.

— Eh bien, il est sot et j’en dirai autant de ses hauts faits ! déclara la générale. — Mais, en fait de sottises, toi aussi, matouchka, tu en as dégoisé long : toute une leçon ! À mon avis, ce rôle-là ne te va pas. En tout cas, ce n’est pas permis. Quels sont ces vers ? Récite-les, tu dois les savoir ! Je veux absolument connaître cette poésie. Je n’ai jamais pu souffrir les vers, c’était sans doute un pressentiment. Pour l’amour de Dieu, prince, prends patience, c’est évidemment la seule chose que nous ayons à faire, toi et moi, ajouta-t-elle en s’adressant à son hôte.

Elle était très-fâchée.

Le prince Léon Nikolaïévitch voulut parler, mais sa confusion ne lui permit pas de proférer un mot. Seule Aglaé, qui venait de s’accorder tant de licences durant sa « leçon », était parfaitement à son aise et paraissait même contente. On aurait dit qu’elle s’était préparée d’avance à réciter les vers en question et qu’elle attendait seulement qu’on l’y invitât. Toujours sérieuse et grave, la jeune fille se leva immédiatement et vint se camper au milieu de la terrasse, vis-à-vis du fauteuil où le prince était assis. Tous la considéraient d’un air étonné ; la plupart : les sœurs, la mère, le prince Chtch…, voyaient avec un sentiment désagréable cette nouvelle gaminerie qui frisait positivement l’inconvenance. Cependant il était visible qu’Aglaé trouvait un grand plaisir dans toute cette mise en scène par laquelle elle préludait à la récitation des vers. Élisabeth Prokofievna fut sur le point de la renvoyer brutalement à sa place. Mais au moment même où Aglaé commençait à déclamer la célèbre ballade, deux messieurs causant à haute voix se montrèrent sur la terrasse. C’était Ivan Fédorovitch Épantchine qui arrivait suivi d’un jeune homme. À leur apparition, un certain mouvement se produisit dans la société.