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est-il que vos paroles s’appliquaient à quelqu’un ; ensuite a eu lieu une longue conversation…

— Je vois, mon cher, que tu te permets trop dans tes conjectures, interrompit avec colère Élisabeth Prokofievna.

— Mais est-ce que je suis le seul ? reprit hardiment Kolia ; — tout le monde a parlé alors et parle encore maintenant ; — tenez, tout à l’heure le prince Chtch…, Adélaïde Ivanovna et les autres ont déclaré qu’ils étaient pour le « chevalier pauvre » par conséquent le « chevalier pauvre » existe, il doit nécessairement exister, et, selon moi, sans Adélaïde Ivanovna, il y a longtemps que nous saurions tous qui il est.

— Quelle est ma faute ? demanda en souriant Adélaïde.

— C’est de n’avoir pas voulu faire son portrait ! Aglaé Ivanovna vous avait priée de reproduire les traits du « chevalier pauvre » ; elle vous avait donné tout le sujet du tableau, tel qu’elle-même le concevait, vous rappelez-vous le sujet ? vous n’avez pas voulu…

— Mais comment aurais-je fait son portrait ? Qui aurais-je représenté ? D’après les indications données, ce « chevalier pauvre »

         Ne levait devant personne
         La visière d’acier de son casque.

Dès lors, quel visage pouvait-on lui donner ? Il aurait fallu peindre une visière ? Un anonyme ?

— Je n’y comprends rien, qu’est-ce que c’est que cette visière ? cria la générale agacée.

À part soi, elle commençait à deviner de qui on parlait ainsi à mots couverts. (Le « chevalier pauvre » était une dénomination conventionnelle dont sans doute les jeunes filles, entre elles, avaient depuis longtemps coutume de se servir.) Mais cette plaisanterie mécontentait d’autant plus Élisabeth Prokofievna qu’elle voyait l’embarras du prince Léon Nikolaïevitch : ce dernier, en effet, était aussi confus qu’un enfant de dix ans.

— Est-ce que cette sottise va durer indéfiniment ? poursuivit-elle. — M’expliquera-t-on, oui ou non, ce que c’est