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Élisabeth Prokofievna : — où as-tu pris cela ? Il n’est pas mieux du tout. Qu’est-ce que tu trouves mieux ?

— Il n’y a rien de mieux que le « chevalier pauvre » ! cria tout à coup Kolia, inamovible derrière la chaise de la générale.

— C’est aussi ce que je pense, dit en riant le prince Chtch…

— Je suis tout à fait de cet avis, ajouta solennellement Adélaïde.

— Quel « chevalier pauvre » ? questionna la générale intriguée, et elle regarda d’un air vexé tous ceux qui venaient de parler ; mais remarquant qu’Aglaé rougissait, elle poursuivit avec irritation : — quelque absurdité sans doute ! Qu’est-ce que ce « chevalier pauvre » ?

— Est-ce la première fois que ce gamin, votre favori, dénature les paroles d’autrui ? répondit Aglaé avec une indignation mêlée de mépris.

Elle était fort sujette aux boutades, mais dans ses sorties les plus violentes en apparence se laissait presque toujours apercevoir quelque chose de si enfantin, que parfois il était impossible, en la regardant, de conserver son sérieux. Cela, naturellement, ajoutait encore à l’exaspération de la jeune fille : elle ne comprenait pas de quoi on riait, ni « comment on pouvait, comment on osait rire ». Dans le cas présent, l’emportement d’Aglaé provoqua l’hilarité de ses sœurs et du prince Chtch… Kolia, triomphant, riait aux éclats. Aglaé se fâcha pour tout de bon, ce qui la rendit deux fois plus belle. Son agitation et le dépit qu’elle en éprouvait lui seyaient admirablement.

— N’a-t-il pas souvent travesti vos paroles ? continua-t-elle.

— Je me fonde sur une exclamation proférée par vous-même ! répliqua vivement Kolia. — Il y a un mois, vous avez feuilleté Don Quichotte, et vous vous êtes écriée en propres termes : « Il n’y a pas mieux que le chevalier pauvre ! » Je ne sais de qui vous parliez alors : si c’était de Don Quichotte, d’Eugène Pavlitch ou d’un autre encore ; toujours