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Peu à peu se précisa la situation réciproque des diverses personnes réunies chez le prince. Celui-ci, naturellement, était en mesure d’apprécier et appréciait tout l’intérêt que lui témoignaient la générale et ses filles. Il leur déclara que lui-même, avant leur visite, avait l’intention de les aller voir, nononstant sa maladie et malgré l’heure avancée. Élisabeth Prokofievna lui répondit, en regardant les visiteurs, que rien ne l’empêchait de mettre sur-le-champ ce projet à exécution. Ptitzine, homme très-poli, ne tarda pas à battre en retraite vers le pavillon de Lébédeff ; il aurait bien voulu emmener l’employé avec lui. Ce dernier promit de l’aller bientôt rejoindre ; Varia qui, pendant ce temps, causait avec les jeunes filles, ne bougea pas de sa place. Elle et son frère étaient fort contents du départ de leur père. Gania se retira peu après Ptitzine. Durant les quelques minutes qu’il avait passées sur la terrasse, sous les yeux des dames Épantchine, il avait eu une attitude modeste mais digne, et ne s’était nullement laissé troubler par les regards sévères d’Élisabeth Prokofievna, qui, à deux reprises, l’avait toisé des pieds à la tête. De fait, ceux qui l’avaient connu jadis pouvaient le croire très-changé. Sa manière d’être plut beaucoup à Aglaé.

— C’est Gabriel Ardalionovitch qui vient de sortir ? demanda-t-elle de but en blanc.

Elle aimait assez à jeter ainsi au milieu de la conversation des autres une brusque question qui ne s’adressait à personne en particulier.

— Oui, répondit le prince.

— Je l’ai à peine reconnu. Il est bien changé et… à son avantage.

— J’en suis bien aise pour lui, reprit Muichkine.

— Il a été très-malade, fit remarquer Varia.

Elle prononça ces mots d’un ton de commisération où néanmoins perçait la joie.

L’observation d’Aglaé avait surpris et presque inquiété sa mère.

— Sous quel rapport a-t-il gagné ? demanda avec colère