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rétabli, vous n’auriez pas voulu me croire, parce qu’il était beaucoup plus intéressant de se le représenter au lit de mort.

— Pour combien de temps es-tu ici ? demanda Élisabeth Prokofievna au prince.

— Pour tout l’été et, peut-être, pour plus longtemps.

— Tu es seul ? Tu n’es pas marié ?

— Non, je ne suis pas marié, répondit le prince, que cette pointe naïvement lancée fit sourire.

— Pourquoi souris-tu ? ce sont des choses qui arrivent. Parlons maintenant de ton habitation : pourquoi n’es-tu pas venu loger chez nous ? Nous avons tout un pavillon qui est inoccupé. Du reste, fais comme tu veux. C’est là ton propriétaire ? demanda-t-elle à mi-voix en montrant d’un signe de tête Lébédeff. — Pourquoi fait-il toujours des grimaces ?

En ce moment, Viéra, qui portait, comme toujours, le baby dans ses bras, sortit de la maison et s’approcha de la terrasse. Lébédeff tournait autour des chaises et ne savait décidément où se mettre, mais il ne songeait nullement à s’en aller. Il n’eut pas plutôt aperçu sa fille qu’il s’élança vers elle en agitant les bras pour l’éloigner de la terrasse ; il s’oublia même jusqu’à frapper du pied.

— Il est fou ? dit brusquement la générale.

— Non, il…

— Il est ivre, peut-être ? Ta société n’est pas des mieux composées, ajouta-t-elle après avoir embrassé du regard les autres visiteurs ; — mais quelle jolie jeune fille ! Qui est-ce ?

— C’est Viéra Loukianovna, la fille de ce Lébédeff.

— Ah !… Elle est fort gentille. Je veux faire sa connaissance.

À peine Lébédeff eut-il entendu ces paroles qu’il courut chercher Varia pour la présenter à la générale.

— Des orphelins, des orphelins ! commença-t-il d’un ton pathétique en s’approchant d’Élisabeth Prokofievna ; — et cet enfant qu’elle a sur les bras est aussi un orphelin : c’est sa sœur, ma fille Luboff, née, en légitime mariage, de ma