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à la fin, lui disait de le laisser en repos, il obéissait silencieusement, tournait sur ses talons, et, tout en se dirigeant à pas de loup vers la porte, ne cessait d’agiter les bras comme pour faire signe que sa visite n’avait pas d’importance, qu’il ne dirait pas un mot de trop, qu’il sortait et ne reviendrait pas ; cela pourtant ne l’empêchait point de reparaître au bout de dix minutes ou d’un quart d’heure. Kolia avait libre accès auprès du prince, ce dont Lébédeff était tout à fait désolé, indigné même. Lorsque les deux amis causaient ensemble, il passait une demi-heure à écouter leur conversation derrière la porte. Kolia s’en aperçut, et, naturellement, fit part de cette découverte au prince.

— Vous vous croyez donc mon maître pour me tenir ainsi sous clef ? dit vivement ce dernier à son propriétaire ; — du moins, à la campagne, j’entends qu’il en soit autrement. Soyez persuadé que je recevrai qui je voudrai et que j’irai où il me plaira.

— Sans le plus petit doute, répondit Lébédeff en agitant les bras.

Le prince le regarda fixement des pieds à la tête.

— Eh bien, Loukian Timoféiévitch, vous avez transporté ici la petite armoire que vous aviez, dans votre chambre à coucher, au-dessus de votre chevet ?

— Non, je l’ai laissée là.

— Pas possible !

— On ne peut pas la déplacer, il faudrait pratiquer une brèche dans la muraille… Elle tient bien.

— Mais vous avez peut-être la pareille ici ?

— J’en ai même une meilleure, une meilleure ; c’est même ce qui m’a décidé à acheter cette maison de campagne.

— A-ah ! Qui avez-vous refusé d’introduire auprès de moi tantôt ? Il y a une heure.

— C’est… c’est le général. En effet, je ne l’ai pas introduit, et il n’a pas besoin d’aller chez vous. Prince, cet homme, je l’estime profondément ; c’est… c’est un grand