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néanmoins le prince garda un souvenir très-net du commencement, des premiers cris qui s’échappèrent spontanément de sa poitrine et que tous ses efforts eussent été impuissants à contenir. Ensuite la conscience s’éteignit en lui.

C’était un retour de la maladie qui depuis fort longtemps déjà l’avait quitté. On sait avec quelle soudaineté se produisent les attaques d’épilepsie. En un clin d’œil le visage se décompose effroyablement, l’altération du regard est surtout frappante. Des convulsions s’emparent de tout le corps et crispent tous les muscles de la face. De la poitrine sortent des cris horribles, inimaginables, ne ressemblant à rien, — des cris qui n’ont plus aucun rapport avec la voix humaine. En entendant ces hurlements, il est très-difficile, sinon impossible, de se figurer que le malade lui-même les profère ; on croirait plutôt qu’ils proviennent d’un autre être qui se trouve au dedans de ce malheureux. Bref, en présence d’un homme affligé du mal caduc, beaucoup de gens éprouvent une terreur indicible et même quelque peu mystique. Ce fut sans doute cette impression d’épouvante qui arrêta soudain le bras de Rogojine, déjà levé sur le prince. Celui-ci tomba tout à coup à la renverse et roula le long de l’escalier en se cognant la nuque contre les marches de pierre. À cette vue, et sans comprendre encore ce qui venait de se passer, Rogojine descendit les degrés quatre à quatre ; arrivé en bas, il tourna l’obstacle humain qui lui barrait le passage, et, comme un fou, s’élança hors de l’hôtel.

Secoué par de violentes convulsions, le corps du malade avait roulé jusqu’au bas de l’escalier qui, du premier étage au rez-de-chaussée, ne comptait pas plus de quinze marches. Au bout de cinq minutes, on aperçut le prince gisant sur le sol, et un rassemblement se forma autour de lui. Comme la tête avait abondamment saigné, on se demanda d’abord si l’on était en présence d’un accident ou d’un crime. Toutefois plusieurs devinèrent bientôt qu’il s’agissait d’un cas d’épilepsie ; une des personnes de la maison reconnut dans le prince un voyageur arrivé le matin à l’hôtel. À la fin, la