Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 1.djvu/315

Cette page a été validée par deux contributeurs.

en wagon, il jeta soudain le billet qu’il venait de prendre ; puis, troublé et pensif, il sortit de la gare. Quelque temps après, dans la rue, un souvenir lui revint brusquement à l’esprit. Il acquit la subite conscience d’une occupation à laquelle il se livrait depuis longtemps déjà, mais dont il ne s’était pas aperçu jusqu’alors : plusieurs heures auparavant à la Balance déjà, ou peut-être même avant d’y arriver, il s’était tout d’un coup mis à chercher quelque chose autour de lui. Ensuite il n’y avait plus pensé, cet oubli avait duré longtemps, une demi-heure, et voilà que de nouveau il se surprenait promenant de tous côtés des regards curieux et inquiets.

Mais, comme il venait de constater en lui ce phénomène morbide et tout à fait inconscient jusqu’alors, un autre souvenir très intéressant pour le prince se réveilla soudain dans sa mémoire : il se rappela qu’au moment où il avait remarqué qu’il cherchait toujours quelque chose autour de lui, il se trouvait sur le trottoir, devant la fenêtre d’un boutiquier, et examinait avec une curiosité extrême un des articles mis à l’étalage. À présent, il voulait absolument vérifier l’exactitude de ce souvenir : était-il, en effet, tout à l’heure, cinq minutes auparavant peut-être, devant la fenêtre de cette boutique ? N’avait-il pas rêvé cela, ou fait quelque confusion ? La boutique existait-elle réellement, ainsi que la marchandise qu’il croyait y avoir vue ? Le fait est que le prince se sentait aujourd’hui dans un état particulièrement maladif, analogue à celui qui autrefois précédait ses attaques d’épilepsie. Il savait que, durant cette période avant-courrière de l’accès, il était extraordinairement distrait, et que souvent même il confondait les choses et les personnes, s’il ne les fixait pas avec un effort spécial d’attention. Mais il y avait un motif particulier qui le poussait à s’assurer de la réalité du fait ; parmi les articles mis en montre à la fenêtre de la boutique se trouvait un objet que le prince avait examiné ; il l’avait même évalué soixante kopeks, il se le rappelait, nonobstant le trouble et le désarroi de ses idées. Par con-