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chaleureuses paroles de son interlocuteur. Sa conviction paraissait inébranlable.

— Quel sombre regard tu fixes en ce moment sur moi, Parfène ! fit le prince péniblement impressionné.

— Se noyer ou aller au-devant du couteau ! dit Rogojine, sortant enfin de son mutisme. — Hé ! mais elle m’épouse parce qu’elle s’attend bien à périr de ma main ! Vraiment, prince, se peut-il que tu n’aies pas encore deviné de quoi il retourne ?

— Je ne te comprends pas.

— Peut-être bien qu’en effet il ne comprend pas, hé, hé ! On prétend que tu… n’es pas comme tout le monde. Elle en aime un autre, voilà le fait ! Elle l’aime maintenant tout comme elle est maintenant aimée de moi. Et cet autre, sais-tu qui il est ? C’est toi ! Eh bien, tu l’ignorais ?

— Moi !

— Oui. Son amour pour toi a pris naissance le jour de sa fête. Seulement, elle juge un mariage avec toi impossible, parce qu’elle te couvrirait de honte et ferait le malheur de ta vie. « On sait qui je suis », dit-elle. Elle n’a jamais varié jusqu’à présent dans son langage. Elle-même m’a déclaré cela en face, sans détours. Toi, elle craint de te perdre et de te déshonorer, mais, en ce qui me concerne, aucun scrupule de ce genre ne l’arrête ; moi, on peut m’épouser, — voilà la considération dont elle m’honore, note aussi cela !

— Mais comment se fait-il qu’elle t’ait quitté pour se réfugier auprès de moi et qu’ensuite… ?

— Elle soit revenue à moi ! Hé ! mais en est-on encore à compter les fantaisies qui lui viennent tout d’un coup à l’esprit ? Actuellement elle se trouve dans une sorte d’état fébrile. Un jour elle me crie : « Je t’épouse comme je me jetterais à l’eau. Marions-nous bien vite ! » Elle-même hâte les préparatifs, fixe la date de la cérémonie ; puis, quand le moment approche, elle s’effraye, ou d’autres idées lui passent par la tête. Dieu le sait, tu l’as bien vu : elle pleure, elle rit, elle s’agite fiévreusement. Et si elle s’est sauvée loin