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en présence du prince, — je suis enchantée que vous-même me fournissiez maintenant l’occasion de vous remercier et de vous louer pour votre résolution.

Tandis qu’elle parlait, elle considérait Muichkine avec attention, cherchant en quelque sorte à lire sur son visage le motif de sa visite.

S’il avait été moins troublé, le prince aurait peut-être répondu à ces paroles aimables ; mais il fut tellement ébloui qu’il ne put pas même proférer un mot. Nastasia Philippovna s’en aperçut avec plaisir. Ce soir-là, elle était en grande toilette et produisait un effet extraordinaire. Prenant le prince par le bras, elle le conduisit au salon. Sur le seuil, il s’arrêta tout à coup et d’une voix agitée murmura :

— En vous tout est perfection… même votre maigreur et votre pâleur… on ne voudrait même pas se figurer autrement votre personne… J’avais une telle envie de venir chez vous… je… pardonnez…

— Ne vous excusez pas, répondit en riant Nastasia Philippovna ; — ce serait enlever à la chose son originalité. On a donc raison quand on dit de vous que vous êtes un homme étrange. Ainsi, vous me considérez comme une perfection, oui ?

— Oui.

— Malgré votre pénétration, vous vous trompez. Je vous reparlerai de cela aujourd’hui même…

Elle présenta le prince à ses invités, dont une bonne moitié le connaissaient déjà. Totzky trouva un mot aimable à dire au nouvel arrivant. La conversation, qui languissait, parut se ranimer un peu. Toutes les langues se délièrent, toutes les rates s’épanouirent en même temps. Nastasia Philippovna fit asseoir le prince à côté d’elle.

— Mais pourtant qu’y a-t-il donc d’étonnant dans l’apparition du prince ? se mit à crier Ferdychtchenko, dont la voix domina toutes les autres ; — l’affaire est claire, elle s’explique d’elle-même !

— L’affaire n’est que trop claire et ne s’explique que trop