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qu’eux, il trouvera les paroles qui confondent les docteurs. Ici, Dostoïevsky est dans son véritable élément ; il concentre dans quelques mots, avec un rare bonheur, toute la substance de ses méditations, tout ce christianisme essentiel qui fait le fond de son âme. Qu’elles sont parfois gracieuses ou profondes, les paroles de « l’Idiot » ! Soit qu’il dise, en parlant de ses petits amis : « L’âme se guérit près des enfants et par eux » ; soit qu’il réponde, en défendant un malheureux qu’on juge trop sévèrement : « C’est une erreur de juger l’homme comme vous faites ; il n’y a pas de tendresse en vous, il n’y a que le sentiment de la stricte justice ; donc vous devez être injuste. » À un malade condamné à une mort prochaine, il jette cet adieu : « Passez devant nous et pardonnez-nous notre bonheur. » Souvent, ce sont des mots d’un ascétisme transcendant : « Peut-être me méprisez-vous parce que je ne suis pas digne de ma souffrance », dit ce même mourant. — « Celui à qui il a été donné de souffrir davantage, c’est qu’il est digne de souffrir davantage. »

Et l’instant d’après, ce même homme fera ou dira les choses les plus baroques ; non point, remarquez-le bien, que l’auteur les lui prête pour s’égayer ou pour accuser un côté comique dans la figure de l’idiot ; cet auteur pense lui-même ces choses baroques d’aussi bonne foi qu’il pensait tout à l’heure des choses sublimes. Le sens du ridicule lui est totalement étranger, ainsi qu’à la plus grande partie de ses lecteurs ; auteur et lecteurs s’indigneraient en nous voyant rire aux larmes sur telle page de l’Idiot ; ils ne comprendraient pas pourquoi ce livre nous fait l’effet d’un monstre chimérique, né d’un accouplement d’idées disparates ; quelque chose comme un recueil des pensées de Marc-Aurèle, revu par MM. Clairville et Siraudin. Nous, d’autre part, avec notre finesse